Une journée d’étude s’est déroulée, récemment, à la salle des conférences du musée Colonel Chaâbani de Biskra, regroupant des magistrats de Biskra, des avocats, des officiers de la police judiciaire et des médecins spécialisés en psychiatrie légale. Elle a été une occasion pour les présents de passer en revue les fondements et les dispositions ainsi que tous les textes de loi régissant le recours à une expertise psychiatrique pénale déterminant l’état mental et la situation psychologique d’un inculpé avant, pendant et après la commission d’un acte criminel. Cette rencontre a été organisée par la direction de la Santé de Biskra, en collaboration avec la Cour de Biskra. Elle s’inscrit dans le cadre de la formation continue des magistrats et de tous les acteurs du secteur de la justice. Elle a été axée principalement sur les principaux thèmes de la relation de travail liant les magistrats des tribunaux pénaux et les médecins-psychiatres, lesquels sont appelés à fournir des expertises psychiatriques pénales requises par un juge ou un avocat représentant un inculpé ou sa famille. Les débats ont également tourné autour du rôle et de l’importance des rapports médico-légaux fournis par les praticiens de la santé mentale à même de permettre aux juges et aux avocats de la défense et du ministère public de prendre les décisions idoines, justes et légales à l’encontre des personnes accusées d’agissements répréhensibles et d’actes illégaux. Il a aussi été question de la composition et des missions de la commission de wilaya de la sante mentale, laquelle ad hoc et nouvellement instituée est composée d’un représentant du wali, de deux magistrats, de deux psychiatres et d’un membre d’une association des malades mentaux. « Cette journée d’étude vise à mettre en avant les dispositions et les mécanismes légaux encadrant le recours et l’élaboration d’une expertise psychiatrique pénale devant déterminer avec précision l’état mental d’un inculpé. Sachant qu’une personne atteinte d’une maladie mentale ayant induit des actes criminels n’est pas punissable mais doit être soumise à un traitement spécifique, cette expertise déterminant la responsabilité pénale d’un prévenu est une aide précieuse apportée aux magistrats dans leurs prises de décision. Certes, nous constatons un manque de médecins-psychiatres dans la région mais ceux qui y travaillent font un travail remarquable. Les maladies mentales constituent un danger pour les personnes et toute la société. La commission de wilaya de la santé mentale œuvre à protéger les inculpés et tous les justiciables et aussi à prévenir les atteintes à l’ordre social du fait de personnes aux facultés mentales détériorées », a précisé Laid Boukhobza, président de la Cour de Biskra.
Recrudescence inquiétante des troubles mentaux
Pour sa part, le docteur Cherif Othman-Telba, psychiatre, président du conseil médical de l’établissement psychiatrique de M’Chouneche et expert-agréé auprès des tribunaux, a souligné « la cohésion et la bonne entente liant le secteur de la justice à la corporation des médecins-psychiatres ». Il n’a toutefois pas omis d’énoncer quelques difficultés rencontrées par les praticiens de la santé mentale dans l’exercice de leurs fonctions. « Nous avons la responsabilité de déterminer la santé mentale d’un sujet et de répondre avec exactitude à quelques questions pour élaborer une expertise psychiatrique approfondie. Au moment des faits qui lui sont imputés, le sujet avait-il le discernement aboli et jouissait-il de l’intégrité de ses capacités mentales ? Quelles sont les circonstances l’ayant mené à commettre un crime ? Peut-il supporter une incarcération conventionnelle ? Malheureusement, nous avons parfois des difficultés pour accéder au dossier d’instruction judiciaire afin de connaitre les circonstances et les faits pour lesquels est poursuivi le sujet. Nous avons besoin des faits pour refaire le cheminement mental et comprendre la profondeur des atteintes psychologiques et mentales ayant poussé le sujet à commettre un ou des actes extrêmes. Dans les textes de loi, ont persiste à utiliser des mots tombés en désuétude comme « démence et folie » pour caractériser des comportements relevant de la gamme des troubles psychiques. Les termes moins stigmatisants incluent la schizophrénie, les Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC), la bipolarité, l’insomnie, la paranoïa et d’autres atteintes mentales. Les experts-psychiatres ont la latitude de requérir un internement dans un établissement psychiatrique dans le but d’affiner le diagnostic d’un sujet. C’est une excellente mesure mais elle exclut les psychiatres du privé ne pouvant se déplacer vers les structures psychiatriques du public et les maisons d’arrêt. Il est utile de rappeler que les psychiatres sont un appui technique de taille pour les magistrats », a-t-il souligné. De personnes souffrant de déficience mentale ou d’une altération temporaire ou chronique du discernement, le docteur Othman-Telba préconise de densifier les activités de la commission de wilaya de la santé mentale. « La santé mentale des Algériens se dégrade à cause de brusques et brutales modifications du mode de vie, de l’augmentation des personnes sous l’emprise des psychotropes et du passage douloureux d’une société traditionnelle d’entraide et de solidarité entre tous ses membres à une société régie par l’individualisme et le matérialisme », a-t-il estimé. A noter que l’hôpital psychiatrique de M’Chouneche a enregistré 6.500 consultations en 2021. L’année suivante, ce nombre a bondi à 11.000 consultations dont des dizaines ont été requises par l’institution judiciaire, a-t-on appris.
H. Moussaoui
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