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Le système de santé en Algérie : Omar Mehsas nous explique tout

Le forum de la ville de Constantine a reçu, le jeudi 11 mai, un panel de spécialistes en économie de la santé et en médecine pour débattre de ce secteur en Algérie. Le docteur Omar Mehsas, pneumo-allergologue, est l’ancien président du Conseil régional de déontologie médicale et de l’Ordre des médecins.

Ce membre actif dans le domaine de la santé et de la société civile depuis près de quarante années, était parmi les invités, et nous l’avons rencontré.  

L’Est Républicain : Notre système de santé est malade. Quel est votre avis malgré les efforts et les engagements de l’État depuis l’Indépendance ?

Dr. Mehsas : Je commencerais par féliciter l’initiateur de ce forum de la ville, le directeur de la Radio de Constantine. C’est un plateau qui permet à des experts de débattre de dossiers importants dans différents secteurs de la vie sociale et d’apporter leurs analyses et des solutions. Merci de me donner l’occasion de revenir sur ce dossier de la santé. Je voudrais relever un point essentiel. C’est notre système de soins qui est malade, et non notre système de santé. Un système de santé, c’est l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources dont le but principal est d’améliorer la santé. Il est composé de sous-systèmes : économique, social-culturel, politique et législatif. Le secteur économique impacte le plus le système de santé et contribue aux dépenses. Le secteur social-culturel demeure le moteur et le vecteur des outils de prévention. L’implication de tous les intervenants de la vie sociale en amont est essentielle pour une prévention de tous les risques impactant la santé des citoyens, le système de santé et les dépenses de santé. Le domaine politique-législatif contribue à travers l’actualisation des textes permettant de nouvelles sources de financement en fonction de l’évolution démographique, épidémiologique, des morbidités et des progrès technologiques en médecine. Ce sont ces sous-systèmes qu’il faut redynamiser et impliquer pour réduire leur impact négatif sur notre système de soins et sur les dépenses de santé. C’est cette partie cachée de notre système de santé qu’il faut revisiter. Ce sont tous ces secteurs qui ont une responsabilité directe ou indirecte dans l’état de santé des populations, par la prévention à tous les niveaux de la vie sociale. Malgré tous les moyens financiers et les engagements des pouvoirs publics, les résultats restent en dessous des attentes et des normes. Le système de soins correspond à l’ensemble des services offerts à la population dans le but d’améliorer sa santé. Il récupère les imperfections, les carences et les négligences des différents acteurs de la vie sociale. Son amélioration commence par un travail en amont.

Il faut donc prévenir ?

La prévention en Algérie est une réussite reconnue par les institutions internationales et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis l’Indépendance. Nous disposons d’un excellent programme de vaccination et de protection maternelle et infantile. Il est maintenant temps de passer à une prévention primaire en impliquant tous les secteurs pour réduire les pathologies, ainsi qu’à une prévention secondaire par un diagnostic précoce, et enfin à une prévention tertiaire visant à prévenir les complications des maladies chroniques et autres. Ensuite, il est essentiel de travailler en aval pour lever toutes les contraintes auxquelles sont confrontés les citoyens et le personnel de santé.

« Halte majeure et décisive pour un diagnostic précis de la situation sanitaire en Algérie, qui devra donner lieu à des solutions pratiques et applicables sur le terrain », c’est l’appel lancé par le président de la République.

Les problèmes d’accès aux soins sont multiples et souvent d’ordre organisationnel ou décisionnel. Malgré le nombre et la qualité des médecins formés, leur répartition n’est pas équitable sur l’ensemble du territoire, et parfois même au sein d’une wilaya. Chaque année, nous constatons d’énormes efforts budgétaires dans le domaine de la santé et l’acquisition d’équipements, mais ceux-ci n’ont pas d’impact positif sur le terrain. Pourquoi plus de 10.000 de nos médecins partent à l’étranger ? Ce n’est pas toujours une question de salaire. Beaucoup, avides de savoir, ne trouvent pas les conditions de travail, de progression professionnelle et d’environnement social correspondant à leur statut. Après l’Indépendance, le médecin, tout comme l’enseignant, bénéficiait d’un statut social privilégié.

Il existe toujours des zones sans couverture. Que faut-il faire ?

Plus de 1.200 zones d’ombre ne bénéficient pas d’une couverture sanitaire. De nombreux équipements ne sont pas opérationnels, faute de personnel, et parfois, des personnels sont sans équipement. Nous devons passer à une gestion optimale et à une utilisation plus efficace des ressources disponibles. C’est la réponse concrète à l’appel du président. Ces solutions doivent être inclusives ; une prise en charge coordonnée au sein d’une plateforme numérique prenant en compte les moyens humains et matériels réels, sans distinction entre le mode d’exercice public, parapublic ou privé. Il est nécessaire de redéfinir les relations entre les principaux acteurs du système de santé. Cela ne remet en aucun cas en cause la gratuité des soins. De plus, la carte sanitaire doit tenir compte des besoins spécifiques des localités pour une meilleure hiérarchisation des soins. Il n’est pas nécessaire d’avoir des équipements lourds dans toutes nos communes, mais il est essentiel d’assurer les soins d’urgence et surtout les moyens de transfert des patients d’un niveau de soins à un autre.

Malgré le service civil, les multiples assises sur la réforme de la santé et le grand nombre de praticiens formés, le déséquilibre persiste.

Il persistera tant que nous ne prendrons pas en compte les difficultés auxquelles sont confrontés les spécialistes et la marginalisation du médecin généraliste. Pour les spécialistes, il faut envisager une meilleure bonification des années passées dans le Sud et les Hauts-Plateaux (salaires et retraite), ainsi que la possibilité de regroupement familial pour les couples de médecins, avec des détachements ou des mutations temporaires d’un des conjoints pendant la période de service civil. Il faut offrir aux généralistes la possibilité d’une formation courte de compétence ou de qualification afin de répondre aux besoins sanitaires, avec la possibilité de progression scientifique dans la spécialité après une durée d’exercice, selon des conditions définies par les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur.

Les malades rencontrent beaucoup de difficultés pour couvrir les frais de soins.

Cette relation entre le payeur et les prestataires n’est pas actualisée depuis 1987. En dehors des hospitalisations et de quelques pathologies récemment prises en charge, qui paye les frais de soins ? Même pour les malades chroniques, il y a une pénibilité financière pour les ménages. Les tarifs de consultations, d’analyses, d’explorations diagnostiques, les différences entre le remboursement et les tarifs de référence, le tiers payant et les actes médicaux ou chirurgicaux en dehors des structures publiques. Certains actes nouveaux ne sont encore pas listés. L’accès aux soins ne sera facile que si nous procédons, avec l’aide d’experts en économie de la santé, à la révision de la nomenclature des actes et à la révision de la tarification. Cela permettra une contractualisation effective, introduite dans la Loi de finances en 1993 et réactivée en 1997, 2003, 2008 et encore en 2022. Cela mettra fin aux forfaits hospitaliers et affichera une transparence et un nouveau mode de gestion des établissements de santé.

Pensez-vous que cette contractualisation réglera les problèmes de santé ?

En grande partie, je vous dirais oui. Mais il faut qu’elle soit faite sur la base d’une tarification élaborée par des économistes de la santé. Tous les actes de soins seront officiels pour les remboursements et aussi pour les budgets des secteurs publics qui n’auront plus de forfaits hospitaliers. Ils seront également payés par les caisses de sécurité sociale, les demandeurs de soins non affiliés et autres assurances à l’acte. Il n’y aura aucune incidence négative sur l’accès aux soins pour les citoyens, ni sur le principe de la gratuité.

Cependant, les malades souffrent du non-remboursement des consultations, des bilans, voire même de certains médicaments. Ce qui, à notre avis, peut retarder le diagnostic.

C’est plutôt un remboursement sur la base d’une tarification obsolète, élaborée en 1985 et appliquée depuis 1987. Oui, c’est tout le problème de l’accès aux soins. Notre souhait et toutes nos actions depuis près de trente ans sont axés sur cette difficulté des ménages à pouvoir se faire soigner à moindre coût. Oui, la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût supporté par l’État, les caisses de sécurité sociale et partiellement par les patients, en dehors de la prévention et des pathologies chroniques. Nous espérons voir un jour la carte Chifa devenir la clé d’accès aux soins pour tous et dans tous les établissements de santé.

A propos de la Caisse Nationale des Assurances Sociales(CNAS), est-ce que nous n’avons pas perdu certains bons services de cette dernière ? Le rôle des assistantes sociales, etc.

Très juste, la CNAS s’est développée sur le plan numérique. Beaucoup d’efforts ont été faits. Il faut revisiter le système des contrôles des prescriptions en général et particulièrement des spécialistes. Aussi, le changement du niveau de prise en charge. Des patients malades chroniques qui étaient à 100/100 sont déclassés à 80/100. Des malades à 80/100 se voient refuser un 100/100. Tout cela a un impact négatif sur les ménages et les dépenses de santé, qui peuvent devenir plus importantes en raison d’un retard de traitement dû aux difficultés financières… Les assistantes sociales jouaient un grand rôle pour les malades et les parents.

Dr. Mehsas, aujourd’hui, nous assistons à des formes respiratoires non habituelles de la grippe ou de la Covid-19.

C’est la fin du cycle de la grippe saisonnière, mais ce retour du froid semble la retarder. Nous continuons également à voir quelques cas de Covid-19 sans danger chez les personnes sans maladies chroniques ou les jeunes. Les malades qui ont été touchés par la Covid-19 sous sa forme respiratoire ont souvent gardé des séquelles pulmonaires, ce qui les rend plus vulnérables. C’est une situation qui doit nous pousser à évaluer ce risque et à adopter une conduite à tenir, notamment la vaccination antigrippale et une plus grande attention chez ces patients sur le plan professionnel en dépistant d’éventuels risques liés à leur poste.

A vous de conclure.

Toute réforme concernera principalement, en premier, les mesures relatives au renforcement et à l’organisation de l’offre de soins dans un système de santé unique, dont l’objectif est d’assurer des services de qualité dans le respect de la dignité des malades. Notons ensuite la planification, la hiérarchisation des soins, le renforcement de la prévention, le développement des soins de proximité, ainsi que la prise en charge de la transition épidémiologique et des disparités géographiques. De plus, il faut assurer un niveau de remboursement des frais de soins et d’explorations. Œuvrer également à un réel développement des traitements en ambulatoire et de la prise en charge à domicile. Il s’agit aussi d’optimiser les ressources humaines et matérielles pour une équité de la couverture sanitaire à travers le territoire national, en impliquant les médecins généralistes bénéficiant de formations de qualifications et de compétences, ainsi que les spécialistes bénéficiant de bonifications et de conditions socioprofessionnelles conséquentes.

Entretien réalisé par Mohamed Aggabou

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