L’Est Républicain a rencontré la semaine passée, le Pr MoullayCharafChabou, professeur de géologie à l’université Ferhat Abbas de Sétif et directeur de l’institut d’architecture et sciences de la terre au sein de la même université qui a bien voulu répondre à nos questions relatives aux deux catastrophes naturelles qui ont secoué deux pays voisins, à savoir le séisme au Maroc et la tempête Daniel en Libye. Diplômé de l’Ecole polytechnique d’Alger, notre interlocuteur, en scientifique maitrisant son sujet, n’a pas mâché ses mots pour pointer du doigt le non-respect des normes de construction et d’aménagement dans les villes touchées.
l’Est Républicain : Le séisme qui a secoué il y a quelques jours une région du Maroc a été très violent. Quelles sont les causes exactes de cette violence qui a fait beaucoup de morts et de blessés ? S’agit-il de la qualité des constructions ou de l’intensité de la secousse tellurique ?
Pr. MoullayCharafChabou : Le dernier séisme qui a durement touché plusieurs villages de l’Atlas au Maroc est considéré par plusieurs comme une surprise ; cependant nous pouvons dire qu’il n’ya pas d’effet surprise car il ne faut pas oublier qu’il y a eu un séisme important dans la région d’Agadir au Maroc, le 29 février 1960 à 23 h 40. Il est célèbre par les dégâts occasionnés car il a fait entre 10 mille à 15 mille morts et plus de 25 mille blessés. Bien qu’il était un séisme modéré car d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter, il a été très violent car son épicentre était sous la ville d’Agadir. La ville a été, il faut le rappeler, complètement rasée. La qualité des constructions y est aussi pour beaucoup. A l’époque, il y avait des études scientifiques qui ont montré une zone de faille de la ville d’Agadir jusqu’à la frontière marocaine qui limite le sud de la chaine de l’Atlas. La sismicité de cette région n’était pas connue avant et depuis, on n’a assisté à aucun autre tremblement de terre puissant dans la région. L’épicentre du dernier séisme était fort heureusement loin des grandes villes sinon, les dégâts auraient été plus importants. Tous les villages situés autour de l’épicentre étaient rasés. L’une des raisons que l’on peut citer est la qualité des constructions réalisées sans aucune norme antisismique. Quand on voit la qualité des constructions, on peut dire que les responsables marocains n’ont pas tiré les leçons. Tous les villages qui se trouvent dans cette zone de faille sismiquement active, ne respectent pas les normes antisismiques. L’ampleur des dégâts occasionnés par le séisme d’Agadir auraient dû servir aux autorités marocaines pour éviter un autre malheur de cette ampleur. Malheureusement tel n’a pas été le cas et il y a eu ce qu’il y a eu.
Qu’en est-il de la tempête Daniel en Libye ?
Deux jours, voire quelques heures après le séisme du Maroc, l’on a assisté à une autre catastrophe naturelle dans un pays frère qu’est la Libye. Les inondations (tempête Daniel) de la ville côtière de Derna (comptant 100 mille habitants), qui ont fait des centaines de morts et d’importants dégâts matériels. Les mêmes déferlements dus à un mini ouragan, ont frappé le bassin méditerranéen de la Grèce (entre 600 et 800 mm), à la Libye en passant par la Turquie et la Bulgarie (qui a dénombré 6 morts), cependant ils n’ont pas fait autant de dégâts. Là on peut parler du non-respect de l’aménagement des villes. En Libye, c’est un fleuve où des quartiers entiers ont été emportés par les eaux. Selon les photos relayées par les médias et sur les réseaux sociaux, il s’agit de constructions réalisées sur un oued. Pour les inondations qui font des victimes, c’est toujours les constructions réalisées dur les lits d’oueds. A Derna, c’est un oued qui a repris son cours. Après de fortes inondations (400 mm de pluie en une nuit constituant le taux de pluviométrie en Libye, d’une année, n.d.l.r). Cela nous rappelle ce qui s’est passé en 2003, à Bab El Oued. Il y a certaines règles de constructions et de réalisation des ouvrages et des routes à respecter à savoir ne pas construire entre autres un lit d’oued. Les cartes géologiques et topographiques existent et il faut les consulter et prendre ses précautions. Ce genre de catastrophes n’arrive pas tout le temps, cependant quand elles arrivent, cela ne pardonne pas et il y a toujours des dizaines de milliers de morts et je ne vous dirai pas combien la vie d’une seule personne est importante.
Qu’en est-il du respect des normes de construction, notamment les normes parasismiques en Algérie et qui est responsable du non-respect de ces normes ?
Les normes parasismiques existent en Algérie et ailleurs. Elles sont enseignées dans toutes les universités et instituts assurant la formation des ingénieurs en Génie civile et des architectes. L’étude de sol qui est aussi enseignée est à respecter pour se prémunir des séismes. A cet effet, il faut bien se préparer. Tout le nord de l’Algérie est une région sismique. Plusieurs acteurs dont les bureaux d’études, les services d’urbanisme et les élus locaux chargés de l’urbanisme et surtout l’organisme chargé du contrôle technique des constructions (CTC) sont responsables de la situation et doivent conjuguer leurs efforts. Il ne fait pas attendre qu’un séisme se produise pour aller vérifier si les normes ont été respectées ou non. Il ne faut pas oublier que des études et des rapports existent dans toutes les communes et directions concernées par la délivrance de permis de construire. Lesdits rapports doivent être consultés et servir de références. Ils doivent être pris en considération car tout le Nord de l’Algérie est sans aucune exception une zone à risque. En effet, le Nord de notre pays correspond à la frontière des deux plaques tectoniques africaine et eurasienne. Ces deux plaques se rapprochent depuis des millions d’années. A titre d’exemple, l’antique Sitifis est une ville qui a été détruite au quatrième siècle et depuis, il y a eu plusieurs séismes. La prévention est le meilleur moyen pour éviter le pire. En Algérie, il faut s’attendre à un séisme à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit. A Chlef, il y a eu deux grands séismes respectivement le 9 septembre 1954 de magnitude de 7 degrés sur l’échelle de Richter, et celui du 10 octobre 1980 d’une magnitude de 7.2 degrés sur la même unité de mesure ayant fait 2600 morts.
Faouzi Senoussaoui
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