Dans le cadre du mois de la culture urbaine, l’Institut français d’Algérie à Annaba a organisé une projection du film documentaire d’Allia Louiza Belamri, intitulé « MIAO : Mouvement International des Artistes Oubliés », qui suit les pas de trois artistes plasticiens dans la wilaya de Sidi Bel Abbès. Après « Yes for Lipstick » (2017), le documentaire « Unique.dz » (2017) et les courts-métrages « Lipstick Choice », « Tifardoud se raconte » et « Sorry Mom », la talentueuse et engagée réalisatrice algérienne Allia Louiza Belamri nous surprend une fois de plus avec un documentaire hors du commun. Une œuvre « hors du commun » car elle se situe dans la zone où l’artiste et son art se rencontrent, se croisent et se mêlent jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de les distinguer l’un de l’autre. Peu d’artistes peuvent véritablement prétendre à ce statut, et encore plus rares sont ceux qui peuvent concevoir cette vision. Allia Louiza Belamri fait partie de ces individus qui se comptent sur les doigts d’une main en Algérie. En effet, l’alter ego de l’avocate native de Béjaïa est une femme universelle qui a fait du théâtre et de l’art plastique et qui place l’élément humain au cœur de son art. C’est justement ce que « MIAO » représente, une aventure humaine qui braque les projecteurs sur un groupe d’artistes engagés et passionnés qui donnent forme à des parties de leurs histoires individuelles, des anecdotes, des rêves, des espoirs et des déceptions à travers leur art, le « Street Art DZ ». Avec un budget d’un million de dinars et un appareil 5D Mark II, Allia Louiza Belamri et son équipe de tournage ont rejoint Mouad Tria, Lyes Kerbaoui alias « LMNT » et Merine Hadj Brahim alias « la main du peuple » dans leur atelier à Sidi Bel Abbès, une vieille cathédrale abandonnée que les artistes ont « squattée » pour en faire leur atelier. Il faut comprendre que l’initiative de ces artistes n’avait rien de commercial ni lucratif, bien au contraire. Même si cela peut être difficile à concevoir, leur objectif n’était autre que de laisser libre cours à leur créativité pour exprimer leurs idées, émotions et points de vue, loin des regards, des jugements et des interprétations que le monde pourrait imposer à leurs œuvres.
Un récit authentique qui va bien au-delà de l’art
Merine Hadj Brahim alias « la main du peuple » a même vendu sa voiture pour financer l’atelier et créer « La Main du peuple », son « Rosebud ». Il a contacté plus d’une galerie d’art pour exposer cette partie intégrante de son identité, mais n’a reçu que des refus. Malgré cela, il ne baisse pas les bras, ne se laisse pas définir par le monde qui l’entoure, résiste et persiste à se relever, toujours et encore, sans relâche. Alors que d’autres avant lui ont abandonné, brisés par une société qui refuse de comprendre, lui reste optimiste et va de l’avant, envers et contre tous. Mouad Tria a investi 70.000 dinars dans son atelier. Comme beaucoup d’artistes, il est en perpétuel questionnement sur son art et sur la prochaine incarnation physique de ses réflexions. À un certain moment, comme beaucoup de jeunes Algériens en quête d’une meilleure situation à l’étranger, il a envisagé de prendre la mer, risquer sa vie et traverser la Méditerranée. Mais contrairement à certains de ses amis, il a choisi de rester et d’investir ses économies pour exorciser ses démons à travers son art. Inflexible, inébranlable et indomptable, l’homme derrière le masque Lyes Kerbaoui alias « LMNT » incarne les principes du « Mouvement International Des Artistes Oubliés ». Il maintient le réseau du mouvement en place, crée des connexions entre artistes et milite pour que le Street Art perdure et touche un public plus large. En se cachant le visage, il cherche à faire passer l’art avant l’individu. Ce que « Mouvement International Des Artistes Oubliés » implique va bien au-delà de l’art, c’est un idéal qui transcende l’individu, une vision qui dépasse les frontières, la politique et les nationalités. C’est une idée à l’épreuve du temps et de l’oubli, un rappel, un message, une promesse inscrits dans les rues, ruelles, édifices et monuments des cités du monde entier, l’Algérie y compris. Et c’est dans cet esprit que Mouad Tria, Lyes Kerbaoui alias « LMNT » et Merine Hadj Brahim alias « la main du peuple » ont été rejoints par Allia Louiza Belamri pour donner vie à ce récit authentique, celui de trois artistes libres du MIAO, cherchant à transformer une vieille bâtisse abandonnée en quelque chose de différent, en un antre de la mémoire chargé d’émotions, d’histoire et de vie. À la fin de cette aventure, les artistes ont érigé un bateau au milieu de la cour de la cathédrale. C’était une lettre d’adieux et un monument en mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie en traversant la Méditerranée, vers une vie qu’ils ne connaîtront jamais. Cet acte a marqué la fin du film documentaire et de ce chapitre de l’histoire de ces artistes. Cependant, de l’autre côté de l’objectif, la vie réservait de nouveaux défis à ces artistes du MIAO. Peu de temps après, les autorités ont décidé de transformer la cathédrale en un lycée d’art. Les lieux ont été fermés, les artistes expulsés et le bateau décroché et… piétiné. Même dans cette situation, Mouad Tria, Lyes Kerbaoui et Merine Hadj Brahim, ainsi qu’Allia Louiza Belamri, s’efforcent de voir le côté positif des choses. L’atelier a laissé place à une école d’art. Mais l’histoire est loin d’être terminée, la vie continue pour nos artistes. Merine Hadj Brahim alias « la main du peuple » a fait de son œuvre un label qui connaît un grand succès, même à l’étranger. Mouad Tria s’est installé à Oran, où il s’est marié tout en continuant à donner vie à son art. Quant à Lyes Kerbaoui alias « LMNT », il veille à ce que le « Mouvement International Des Artistes Oubliés » ne soit jamais un souvenir.
Soufiane Sadouki
Partager :