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Sétif en quête d’un plan de développement : Des milliards de dinars « otages » de la bureaucratie

Elle est le trait d’union entre le nord et le sud. La wilaya de Sétif est à la fois un carrefour et un immense fief de bâtisseurs qui ne rechignent pas. Wilaya historique, Sétif qui a été le berceau de la résistance et capitale du mouvement national durant les années 1940, se trouve en salle de réanimation depuis des années.

Sétif, wilaya pilote, n’est ni plus ni moins qu’une étiquette éphémère et un slogan creux. Sur terrain, elle est leader de partisans de la langue de bois faisant rage du côté des hauts plateaux sétifiens où les grands projets sont en stand-by, au grand dam de la population s’expliquant mal la mise en veilleuse de leur région ne manquant pourtant pas d’atouts et d’arguments à faire valoir. Avec des potentialités incommensurables pour être l’une des plus importantes locomotives du développement de l’économie nationale, la deuxième wilaya du pays en nombre d’habitants observe, le moins que l’on puisse dire, un temps mort. Les visites de travail et d’inspection des ministres des secteurs clés font désormais partie du passé. A la traine dans divers secteurs de la vie économique, la wilaya n’est plus au rendez-vous avec les grands projets. Mieux, une montagne d’opérations de grande utilité publique, inscrites depuis la nuit des temps, n’a pas vu le jour, sans qu’une telle situation n’offusque les responsables concernés. Le respect des délais de réalisation qui était jadis l’une des plus grandes caractéristiques de Sétif n’est qu’un lointain souvenir. La preuve, la mise à niveau ou la réhabilitation d’une école primaire ou d’un stade hérité de l’ère coloniale se transforme en travaux d’Hercule.

Des logements au compte-goutte

L’absence de projets d’envergure impacte l’économie locale, notamment le secteur de l’habitat, ne bénéficiant plus des quotas en milliers de logements de différents segments. Une telle situation s’est répercutée sur la quantité des unités distribuées puisqu’à Sétif, le temps de livraison de deux ou trois mille logements en même temps est révolu. Achevées depuis 2013, des centaines de logements publics locatifs ne sont toujours pas distribués. Le sempiternel problème des VRD (voirie et réseaux divers) en est la cause. Le cas des centaines d’unités « en jachère » à Ouled Saber est l’exemple parfait de la décrépitude. Avec plus de 20.000 demandes à Sétif-ville, le secteur du logement souffre de l’indigence des quotas réservés à la wilaya où la qualité des travaux laisse à désirer. Devant créer des centaines de postes de travail et donner un grand coup de fouet au marché des matériaux de construction en stagnation ces derniers temps, le fameux complexe sportif de 50.000 places, inscrit en juin 2007, ne voit toujours pas le jour. Annoncée dernièrement, la levée du gel sur les études dudit projet demeure prisonnière des procédures, la plus grande bête noire du développement local.

Sport, le parent pauvre

Le vétuste stade du 8 mai 1945 qui a connu des moments de gloire ponctués par des titres nationaux, deux coupes arabes et une ligue des champions d’Afrique décrochée en 2014, fait pitié. Le mythique stade est dépourvu de l’essentiel. En 2023, une très grande partie des supporters de l’Entente de Sétif et des équipes visiteuses sont dans l’obligation de suivre les rencontres sur du béton. Et pour cause, la célèbre enceinte ne dispose pas de sièges en nombre suffisant. Ne datant pas d’hier, ce manque donne un autre coup de massue à la plus grande infrastructure sportive de la wilaya. Un tel point noir ne dérange pas pour autant les responsables du secteur, lesquels font comme si de rien n’était. « Pour quelles raisons les stades des grandes villes du pays ont bénéficié de lifting sauf le 8 mai 1945 de Sétif ? La pose de sièges devant embellir l’enceinte ne nécessite pas un gros budget, non ? », s’interrogent des supporters du club phare d’Ain Fouara, demandant l’intervention express du nouveau wali, Mustapha Limani, lequel a du pain sur la planche. Attendue et souhaitée par les sportifs et férus du sport roi, la réhabilitation de l’infrastructure précitée est un vœu pieux. Comme pour beaucoup d’autres dossiers, la remise à niveau du 8 mai 1945 n’a pas été bien défendue. En « rénovation » depuis des lustres, la piscine du 8 mai 1945 qui a vu passer plusieurs générations de nageurs est toujours fermée. Le manque de structures sportives dans différents coins de la wilaya est l’autre tare du secteur.

Des hospitalo-universitaires lancent un SOS

La couverture sanitaire des patients de la wilaya et d’une partie d’un bassin de huit millions d’habitants est l’autre talon d’Achille de Sétif. L’actuel Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Saadna Mohamed Abdenour, dépourvu de plusieurs services et pas des moindres, ne répond plus aux besoins des hospitalisés et à l’attente des soignants et des étudiants en médecine, confrontés à un grave problème, à savoir le manque de terrain de stage. L’inscription d’un deuxième CHU devient une nécessité absolue. « L’exercice de la médecine devient presque impossible au CHU où le strict minimum n’est pas réuni. En plus de la vétusté et de l’exiguïté des services ne répondant plus aux attentes des patients et aux aspirations des étudiants de médecine, le manque de moyens et l’absence de nombre de services compliquent les choses. Nous lançons un appel, ou plutôt un SOS, au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour l’inscription d’un deuxième CHU à Sétif où l’actuel, datant de l’ère coloniale, est hors normes », soulignent, non sans dépit, plusieurs soignants démunis. Comme un malheur n’arrive jamais seul, l’hôpital de 240 lits d’El Eulma, inscrit en 2010, est otage de la paperasse et des procédures administratives. Pour le sempiternel problème d’actualisation des prix de matériaux de construction connaissant une vertigineuse flambée, l’hôpital n’est pas achevé treize ans après. Une fois de plus, le labyrinthe bureaucratique empêche le nouvel hôpital des urgences-chirurgicaux médicales de 120 lits à sortir de terre. De tels accrocs sont le plus souvent à l’origine d’une pluie d’avenants, d’ordres de service d’arrêt et de la récurrente surévaluation du projet qui va une fois de plus grever les caisses du trésor public, le plus grand perdant dans l’affaire. Pour rappel, les services de la wilaya ont été destinataires d’une première notification de 800 millions de dinars. Les premiers coups de pioche n’ont pas été donnés. Les mêmes contraintes freinent le pôle pédiatrique du CHU, pris en charge, faut-il le rappeler, par des opérateurs économiques de la wilaya. A la charge de l’administration, le volet des équipements traine la patte. L’opération de volontariat qui a vu passer quatre walis et plusieurs directeurs généraux du CHU fait du surplace, au grand regret des petits malades, de leurs parents et des personnels de la santé s’expliquant mal l’immobilisme de leur hiérarchie et le silence radio des responsables du secteur. Ces derniers ne ratent aucune occasion pour s’approprier les « lauriers », dire que le plus dur reste à faire. Inscrit depuis plus de quatre ans, l’hôpital de 60 lits de Bouandas (chef-lieu de daïra situé à 75 kilomètres au nord-ouest de Sétif) ne déroge pas à la règle. Il est, lui aussi, otage de la bureaucratie, principal ennemi du développement à Sétif. Notifiée depuis un bail, la première enveloppe de 150 milliards passera à la trappe. Elle sera obligée de passer par la case habituelle des « avenants » et de la « révision des prix ». L’amélioration de la couverture sanitaire de cette partie de la région nord de la wilaya devrait attendre un certain temps et prendre son mal en patience.

Méga-zone d’Ouled Saber, l’épine de l’investissement productif

Le chapitre de l’investissement, en mesure de faire de la wilaya de Sétif l’un des principaux moteurs de l’économie nationale, est bloqué par la méga-zone d’Ouled Saber, frappée par le gel. S’étendant sur plus de 700 hectares, l’espace devant à bas mot créer plus de 20.000 postes de travail ne voit pas le jour, au grand regret de porteurs de projets productifs. La situation a fortement impacté les idées des investisseurs, lesquels sont obligés de revoir leur copie, sachant qu’un projet initié en 2020 n’est plus rentable en 2023. Ayant exporté en 2022 hors hydrocarbures pour plus de 210 millions de dollars, des exportateurs de la wilaya où exercent plus de 26.000 opérateurs économiques demandent, eux aussi, l’intervention du chef de l’Etat, faisant de l’investissement productif et de l’exportation hors hydrocarbures son cheval de bataille. Le ministre de l’Industrie et de la Production pharmaceutique devrait faire un tour à Sétif où certaines parcelles industrielles sont à l’abandon depuis la nuit des temps. Principale vitrine du développement, l’aéroport 8 mai 1945 dont la rentabilité est désormais avérée n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Envisagé, l’agrandissement de la piste de 300 mètres pour atteindre le 3.200 mètres devant permettre aux grands porteurs de bifurquer par l’infrastructure desservant les voyageurs et hommes d’affaires d’un bassin de huit millions d’habitants  est « bloqué » quelque part. Il en est de même pour le gigantesque projet des grands transferts d’eau, pour lequel les pouvoirs publics ont prévu, dans les années 2010, 1,1 milliard d’euros. Quatorze ans après, le projet n’est pas achevé. Si le barrage d’El Maouane est plus ou moins fonctionnel, celui de Draâ Eddis (Tachouda) devant être connecté à celui de Tabellout (Jijel) ne l’est pas encore. Sa livraison est renvoyée aux calendes grecques, année après année.

Une multitude de secteurs à la traîne

La situation du secteur de l’éducation souffrant actuellement de la surcharge des classes et d’un énorme déficit en structures n’est guère reluisante. Ce secteur connait des problèmes avec la réhabilitation du vieux bâti et l’inscription de nouveaux établissements des trois paliers. La triste histoire du Collège d’Enseignement Moyen (CEM) Ali Zermani de Bouandas, où un petit collégien avait perdu la vie suite à l’effondrement d’un mur, est toujours d’actualité, puisque le dossier du CEM de substitution n’est toujours finalisé, au grand désappointement des élèves poursuivant leur scolarité dans des conditions aléatoires. Ce point n’est malheureusement pas un cas isolé à Sétif où plusieurs établissements se trouvent dans état pitoyable. Le manque d’enveloppes budgétaires empoisonne la vie aux usagers de l’évitement nord du chef-lieu de wilaya, à l’origine de plusieurs accidents mortels. Ne nécessitant pas plus que 800 millions de dinars, la réhabilitation de ce tronçon de seize kilomètres devient problématique. Réclamée depuis toujours, l’inscription d’une double voie Guellal-Ain Azel attend un feu vert. Comme les apparences sont souvent trompeuses, le chef-lieu de Sétif, n’ayant rien de wilaya pilote que le nom, est, comparativement à des agglomérations de moindre taille, dépourvu d’un théâtre, d’une bibliothèque de lecture publique, d’un conservatoire de musique, d’une toute petite salle de cinéma et d’une gare routière digne du nom. Ne méritant pas un tel sort, les hauts plateaux sétifiens, mal défendus par leurs représentants oubliant qu’un mandat électoral est à la fois court et éphémère, soufrent en silence. Sans un programme de développement à la dimension d’une wilaya de plus de 2,8 millions d’âmes, Sétif continuera la navigation à vue.

A. Bendahmane

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