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Pr. Souhem Touabti, médecin-cheffe à l’hôpital mère et enfant d’El Eulma : « La mission de Sédrata est une belle réussite… »   

Elle n’écume pas les plateaux télé. Elle ne cherche pas les feux de la rampe. Pour l’amour de son pays, de son métier, et pour le bonheur de ses petits patients, elle n’a pas voulu répondre aux sirènes des pétrodollars. Pr. Souhem Touabti, le prototype du pur produit de l’école algérienne, a accepté de nous parler d’une profession pas facile et de son dernier déplacement à Sedrata (Souk-Ahras). À son actif, de grands projets de recherches nationaux et internationaux, plus de 200 communications et publications et, tenez-vous bien, 3.000 opérations chirurgicales sur les malformations urogénitales chez l’enfant, la chirurgienne connue et reconnue, a aimablement accepté une discussion à bâtons rompus. Suivons-là…   

Vous faites du rapprochement de la prise en charge médicale des enfants, singulièrement ceux des zones enclavées, votre principal cheval de bataille. Pourriez-vous nous donner un aperçu sur les opérations chirurgicales réalisées par vos équipes, la semaine passée, à Sedrata ?

Nous avons opéré cinquante patients, dont trente porteurs de grandes malformations urogénitales complexes. Le reste, c’est de la chirurgie réparatrice orthopédique maxillo-faciale et pathologie du canal péritonéo-vaginal, avec ectopie testiculaire. Âgés d’un mois à quinze ans, les patients sont issus de Guelma et ses environs, de Souk-Ahras et ses environs et d’Annaba. La mission de Sedrata est une belle réussite. Elle est aussi et surtout un modèle de jumelage inter-hôpitaux.

Peut-on avoir une idée sur le taux de réussite des opérations de Sedrata ?

Avec toute modestie, la réussite est de 100 %, car la préparation des dossiers et des malades s’est faite trois mois à l’avance. La coordination et le travail collégial du staff multidisciplinaire (chirurgiens, assistants, anesthésistes, psychologues et paramédicaux) de l’hôpital Houari Boumediene de Sédrata et de l’hôpital mère et enfant d’El Eulma (Sétif), sont à l’origine des résultats obtenus. Je voudrais insister sur un point si vous le permettez, à savoir mettre en exergue les compétences, le sérieux et le dévouement du Dr. Adel Fafi (chirurgien pédiatrique). Je ne pourrais passer sous silence le travail titanesque de l’excellente équipe de médecins et l’excellente équipe d’anesthésistes, à leur tête le docteur Chenouf. L’apport incommensurable du personnel paramédical et administratif, du directeur de l’hôpital de Sedrata, M. Dib, est l’autre cause de la réussite de la mission. Malgré la complexité de la tâche, la mission de Sedrata a été humainement des plus enrichissantes. L’implication personnelle du wali de Souk-Ahras, du maire et du directeur de la Santé a été d’un grand concours pour l’équipe médicale.   

Les opérations chirurgicales des porteurs de malformations congénitales rénales sont à la fois complexes et coûteuses. Peut-on avoir une idée sur la durée d’un acte chirurgical, les difficultés rencontrées et le coût financier ?

Effectivement, la prise en charge de ces pathologies lourdes n’est pas une mince affaire. La durée d’un acte chirurgical sur ces malformations peut durer de trois à douze heures. Nécessitant une préparation précise et minutieuse, ces opérations chirurgicales exigent en outre une grande concentration. En pareilles circonstances, l’erreur est interdite car la moindre complication est lourde de conséquences et peut induire une perte de la fonction rénale. La prise en charge d’une telle pathologie est l’œuvre d’un expert en la matière. Dieu merci, l’Algérie n’en manque pas. Les bienfaits de la gratuité de la médecine chez nous permettent aux enfants des familles nombreuses et aux revenus limités d’avoir droit à des soins lourds et de bénéficier d’opérations chirurgicales de pointe. Pour étayer de tels propos, la durée de l’hospitalisation est de quatre à douze jours. Une nuitée est estimée à 1.500 euros. La chirurgie varie entre 5.000 à 12.000 euros. En dinars, la facture oscille entre 200 et 300 millions de centimes, facilement.

La mission de Sedrata n’est ni la première, ni la dernière du genre, non ?

Le déplacement de Sedrata s’inscrit dans le cadre du jumelage entre les deux établissements. La dernière mission est la deuxième du genre. Elle permet de concrétiser sur le terrain le rapprochement des soins médicaux aussi lourds qu’ils soient du citoyen, particulièrement des zones éloignées et ne disposant pas de Centres Hospitalier Universitaires (CHU) ou d’hôpitaux pourvus de différents services. On prend en charge également les petits de Beni Ourtilene et Beni Aziz (Sétif) avec un programme chirurgical annuel, scindé en plusieurs étapes. Notre équipe s’est déplacée également à Mila, Ras El Oued, Ferdjioua et Touggourt. En octobre passé, nous avons, en collaboration avec l’association Amitié Franco-Algérienne, organisé une semaine opératoire de grande envergure de pathologies urologiques et génitales vraiment délicates. Des patients des quatre coins du pays ont été, à l’occasion, opérés.

Quels sont les grands axes de votre feuille de route pour 2024 ? 

Notre service est un centre de référence en urologie pédiatrique. La majorité des patients sont opérés des malformations congénitales. D’importantes opérations de jumelage sont prévues à Sedrata, Bordj Bou Arreridj, Souk-Ahras, Touggourt et Boussaada pour ne citer que ces centres urbains. Dans le cadre des échanges et de la formation médicale continue, nous allons organiser trois séminaires de haut niveau axés sur l’endo-urologie pédiatrique, la coeliochirurgie pédiatrique et la chirurgie maxillo-faciale chez l’enfant.

Quel est le pourcentage de personnes atteintes de ce type de pathologie en Algérie ?

La première étude faite en Algérie, dont je suis l’auteur, rentrait dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en 2006. Elle trouve une incidence de 2.6 % par naissance de malformations rénales en Algérie.

Que peut-on faire pour les atténuer et éviter par la même l’insuffisance rénale ?

Le dépistage anténatal est indispensable. Il en est de même pour la prise en charge précoce en post natal. Pour ce point précis, nous sommes les pionniers en Algérie. Dieu merci, l’opération se généralise grâce à l’étroite et directe collaboration entre obstétriciens, pédiatres, chirurgiens pédiatres et radiologues travaillant en excellente osmose.

Ce n’est pas évident de prendre en charge des pathologies aussi lourdes, chez l’enfant de surcroit ? Quelles sont les difficultés rencontrées avant, pendant et après le suivi d’une opération ?

Le diagnostic tardif chez l’enfant me chagrine, me rend parfois malade. Je n’ai aucun reproche à faire aux parents. Mais la méconnaissance de ses pathologies par certains médecins n’arrange pas les choses. C’est pour cette raison que j’insiste beaucoup sur la formation médicale continue. Sachant que tout retard dans la prise en charge implique un suivi à très long terme pour éviter la bascule vers l’insuffisance rénale malgré une chirurgie.

Quels problèmes techniques vous rencontrez dans l’exercice de vos fonctions ? 

En dépit de la bonne volonté du directeur et du staff administratif de l’hôpital, notre service a besoin d’un équipement de pointe, comme une deuxième colonne de cœlioscopie, des cystoscopes, des urétéroscopes, des fibroscopes et d’un équipement d’anesthésie sophistiqué. Je profite de l’opportunité pour lancer un appel au wali de Sétif pour l’acquisition de ces équipements. Dévoué et volontaire, notre personnel paramédical – pierre angulaire dans la prise en charge des pathologies lourdes, a besoin en urgence d’une mise à niveau. 

Pendant vos consultations, vous accueillez des patients des quatre coins du pays, peut-on avoir une idée sur les souffrances des enfants et de leurs parents ?

Effectivement je reçois des patients de Timimoune, Tamanrasset, Bechar, Tindouf, Ghardaïa, Maghnia et d’autres localités des quatre coins du pays. La galère des familles ne bénéficiant d’aucune aide sociale me bouleverse. Dépourvus de moyens financiers, des parents effectuent de véritables parcours du combattant pour soigner leurs enfants. L’exemple d’une brave femme de Khenchela me hante l’esprit. Prenant son courage à deux mains, elle prend tous les moyens de transport (bus, taxis), pour faire soigner son fils paraplégique, transporté avec sa chaise roulante. L’exemple de cette brave dame m’a poussé à créer des équipes pluridisciplinaires dans chaque wilaya. Dans un premier temps, on a commencé par l’Est algérien. Nous ne ménagerons aucun effort pour la généralisation de l’opération sur le territoire national.

En dépit d’un agenda surbooké, vous continuez à former et encadrer ?

Du temps où j’exerçais (1998-2014) au service de chirurgie pédiatrique du CHU de Sétif, j’ai contribué à la formation des résidents avec une moyenne de six par an. Depuis ma prise de fonction en 2015 jusqu’à maintenant, j’ai formé, à l’EHS (Etablissement Hospitalier Universitaire) El Eulma, quatorze chirurgiens pédiatres. J’ai en outre encadré six doctorants de la faculté de médecine de Constantine, ayant soutenu leur thèse, dont deux sont professeurs et quatre maitres de conférences A. Cinq autres doctorants vont bientôt soutenir leur thèse : deux de la faculté de médecine de Sétif, un de la faculté de médecine d’Annaba, un de la faculté de médecine de Batna et un de la faculté de médecine de Béjaïa.

L’urologie pédiatrique est l’autre souci majeur des enfants et de leurs familles, n’est-ce pas ?

Tout à fait. Cette pathologie exige une longue hospitalisation. Un enfant et sa maman peuvent rester à l’hôpital cinq à six fois par an, pour une durée de traitement de 21 jours, avec en sus un coût très élevé des traitements antibiotiques et des examens radiologiques. L’absence d’une prise en charge précoce induit dans un premier temps des infections urinaires, qui pourraient basculer vers une insuffisance rénale chronique.

Un mot sur l’inscription de plus 1.200 étudiants en première année à la faculté de médecine de l’université Ferhat Abbés de Sétif ? Peut-on dispenser un enseignement de qualité avec un nombre aussi élevé ?

Le nombre 1.200 futurs praticiens est excessif. Pour les stages pratiques sur terrain, les structures hospitalières universitaires sont incapables de recevoir un tel contingent d’étudiants. On ne peut les former convenablement. C’est impossible. Le manque flagrant d’hospitalo-universitaires, surtout les maitres assistants, n’aide pas sur le plan pédagogique, universitaire ou pratique. La révision à la hausse des ouvertures de postes en fonction des besoins de chaque faculté des sciences médicales s’impose.

Entretien réalisé par Kamel Beniaiche        

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