La formation médicale, pilier du système de santé, a fait du chemin et ses preuves en Algérie. Visant à se défaire de la dépendance étrangère, la stratégie post indépendance fixée par les pouvoirs publics a été payante. En 1962, l’Algérie ne comptait qu’un médecin pour 8.000 habitants et un pharmacien pour 57.000 habitants. Insuffisant, ce ratio ne pouvait couvrir les besoins de dix millions de citoyens confrontés à une situation épidémiologique délicate. L’amélioration de la couverture médicale et la décentralisation étaient les principaux objectifs de l’Etat durant les premières décennies de l’Algérie indépendante. L’ouverture de nouvelles facultés de médecine devant venir en appoint à celle d’Alger, ne pouvant à elle seule répondre aux attentes du pays, a boosté la formation à l’Est et l’Ouest du pays. La création de deux nouvelles facultés, l’une à Constantine et l’autre à Oran, a donné de nouvelles lettres de noblesse à la médecine algérienne, sachant que les institutions précitées ont enfanté plusieurs générations de praticiens doués et de dimension internationale. De nombreux maitres et experts (toutes disciplines confondues) comme les défunts Klioua, Benabderahmane, Yahia Guidoum, Abbes, Benhabyles, Kadi, Roula et Rahal, pour ne citer que ces icones, ont non seulement assuré la relève et laissé leurs empreintes mais aussi posé les jalons d’une formation médicale nationale de très haute qualité. Les investissements des pouvoirs publics ne lésinant pas ont étéponctués par l’éclosion de nouvelles facultés de médecine, dont celle de l’Université Ferhat Abbes de Sétif (UFAS). Les efforts de la République ont porté leurs fruits. La couverture sanitaire répond désormais aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le nombre de médecin passe à un médecin pour 1.300 habitants en 2022. Mieux encore, le produit de l’université algérienne est à la fois demandé et côté dans la rive nord de la méditerranée. La dynamique butte, en revanche, sur une évolution démographique des plus croissantes et le déséquilibre entre le taux de réussite au baccalauréat – engendrant une forte tension sur les filières médicales (médecine, pharmacie et chirurgie dentaire) – et le déficit en structures d’accueil et en encadrement pédagogique et médical. N’affectant d’habitude que le secteur de l’éducation nationale, la surcharge a atteint cette année la faculté de médecine de l’UFAS où ont été inscrits plus 1.200 étudiants en première année, sans compter les 200 de l’annexe de M’sila, les 690 de pharmacie et les 447 nouveaux inscrits en chirurgie dentaire. L’importante cohorte a accentué les difficultés des responsables. Soumise à une véritable course contre la montre, l’administration de la faculté devait impérativement trouver des locaux et un encadrement en nombre et travailler six jours sur sept puisque le samedi est jour de cours. Les futurs médecins sont répartis en quatre sections de 300 étudiants et 20 groupes de travaux dirigés. La nouvelle pléthore qui vient mettre son grain de sel dans une institution dont les capacités théoriques ne dépassent pas, nous dit-on, les 3.600 places pédagogiques, fait grincer les dents du corps médical, singulièrement les hospitalo-universitaires ne restant pas de marbre.
Quel avenir pour le secteur ?
Préférant, pour nombre d’entre eux, nous parler sous le sceau de l’anonymat, nos interlocuteurs s’inquiètent pour la qualité de l’enseignement dispensé et du niveau du produit final. « L’impact de cet important flux ne sera ressenti qu’en troisième année. Dans l’état actuel des choses, les stages clinques de cette armada sont compromis. Un étudiant en quatrième ou cinquième année ne touchant pas un malade ne peut devenir médecin. C’est bien beau de doper nos étudiants avec les cours et une montagne de polycopies, mais sans la pratique, les efforts des uns et des autres ne serviront à rien. Après les cours de la matinée, l’après-midi est en principe consacré au stage pratique. Cette règle n’existe plus au CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Sétif, ne répondant pas aux aspirations des apprenants et aux besoins des patients. Même si elle est amère, cette triste réalité est là. L’absence de terrains de stage perdure depuis un certain temps. Les étudiants de ces dernières années n’ont pas bénéficié d’un temps de stage adéquat », soulignent nos interlocuteurs de rang professoral. Et de marteler : « Accueillis à bras ouverts dans les différents hôpitaux français, nos jeunes médecins sont bien outillés. En plus des connaissances théoriques, ils ont fait le plein en stages car chaque formation est un métier. Ce n’est plus le cas maintenant. On ne peut consacrer du temps et trouver de la place dans un minuscule service à plus 80 internes. Le projet de convention devant permettre à nos stagiaires et internes de passer leur stage pratique dans les EPH (Etablissements Publics Hospitaliers) de la wilaya n’a pas vu le jour encore ». En se confiant à L’EST Républicain, Pr. Souhem Touabti, médecin-cheffe à l’hôpital mère et enfant d’El Eulma, deuxième agglomération de la wilaya, ne va pas par quatre chemins : « Le nombre de 1.200 futurs praticiens est excessif. Pour les stages pratiques sur terrain, les structures hospitalières sont incapables de recevoir un tel contingent d’étudiants. On ne peut former convenablement. C’est impossible. Le manque flagrant d’hospitalo-universitaires, surtout les maitres assistants, n’aide pas sur le plan pédagogique, universitaire ou pratique. La révision à la hausse des ouvertures de postes en fonction des besoins de chaque faculté des sciences médicales s’impose ». Ses confrères ayant gros sur le cœur enfoncent non seulement le clou mais lancent un appel au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour la levée du gel sur le deuxième CHU de Sétif, une solution idoine pour atténuer les effets de la surcharge, booster la formation et améliorer la prise en charge médicale des patients. « Nous travaillons dans des conditions difficiles et aléatoires. Construit dans les années trente pour un nombre limité d’habitants, l’actuel CHU est dépassé et hors normes. Il n’est pas fonctionnel, ne répond plus à la demande du nombre croissant des patients d’un bassin de plus de huit millions d’habitants. L’amélioration des soins et de la formation de nos étudiants passe par la réalisation d’un deuxième CHU, devenu une nécessité absolue. Nous profitons de l’opportunité pour lancer un SOS au président de la République pour l’inscription de ce projet vital. Comment voulez-vous qu’un petit hôpital datant de l’ère coloniale et transformé en CHU, dépourvu de surcroît de plusieurs services comme l’endocrinologie, la gastrologie, la dermatologie, la rhumatologie, la chirurgie thoracique et la chirurgie vasculaire et cardio-vasculaire, puisse offrir les meilleurs soins à ses malades et accueillir cet important contingent de futurs médecins ? », s’interrogent nos interlocuteurs ne perdant pas espoir.
Kamel Beniaiche
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