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Disponible de février à avril sur les marchés de Biskra : Une étrangeté qui se vend comme des petits pains

Ceux qui n’ont jamais visité une ville du sud algérien en cette période, et particulièrement leurs marchés populaires, seront certainement intrigués par une denrée qui s’y vend au grand plaisir d’une certaine clientèle en connaissant l’utilité et les bienfaits. Sachez que ce dont on parle n’est pas un fruit, ni un légume. Ce n’est pas une plante médicinale, quoiqu’on lui attribue des vertus thérapeutiques de divers dysfonctionnements hormonaux. Ce n’est pas une racine aromatique et encore moins un objet décoratif artisanal. Ce n’est pas un végétal d’agrément, un ustensile de cuisine ou un animal de compagnie. Pourtant, cette étrange chose se négocie au marché central de Biskra où elle est disponible de février à avril. Le souk Rahba de Tolga, fief incontestée de la Deglet Nour, lui est entièrement dédié et de nombreux clients y affluent pour s’en procurer, constate-t-on. Cet objet insolite, fusiforme de couleur vert-jaunâtre, est cédé de 500 à 2.000 dinars l’unité en fonction de sa qualité et de sa fraicheur. Cette année, son prix a bondi du simple au double, relèvent les acheteurs. Qu’est-ce donc ? Ce sont des spathes mâles (Dokkar) servant à féconder les palmiers-dattiers femelles. Elles sont constituées d’une gerbe de longs épis chargés de poudre de pollen dégageant une odeur caractéristique et protégée par une bractée ligneuse longitudinale naissant à l’aisselle des palmes des palmiers-mâles. Le palmier-dattier est une plante dioïque et anémophile. En d’autres termes, les organes de reproduction sont composés d’inflorescences mâles ou femelles portées par des palmiers différents et dont le vent est un vecteur de pollinisation. Pour le palmier-dattier, l’intervention de l’homme pour la pollinisation est néanmoins nécessaire et indispensable afin de produire des quantités de dattes de bonne qualité. Chaque palmeraie doit avoir au moins cinq pour cent de palmiers-mâles placés ça et là dans le but de se garantir une bonne pollinisation des palmiers-femelles par allogamie. Beaucoup de phoeniciculteurs n’appliquent pas ces recommandations et se retrouvent souvent en manque de spathes mâles, d’où la prospérité du marché des gerbes de pollen permettant à beaucoup de petits commerçants de tirer « de menus dividendes », selon leurs dires. « Mes clients sont des producteurs de dattes de Biskra et même de Tébessa et Khenchela, des particuliers et des responsables d’établissements scolaires ou d’administration ayant juste deux ou trois palmiers à entretenir. Il y a aussi des adeptes de médecine alternative à qui l’on conseille de consommer une mixture composée de miel pur, de gingembre et de pollen de palmier-dattier pour guérir, selon les croyances populaires, des dysfonctionnements de l’appareil génital et des cas d’infertilité masculine », soutient Hamza Ammi, qui s’est spécialisé dans le commerce des spathes-mâles.

Primauté aux méthodes traditionnelles

Il faut savoir que la wilaya de Biskra compte quelque cinq millions de palmiers-dattiers productifs. Chacun de ceux-ci a besoin d’au moins deux spathes pour la pollinisation des huit à douze inflorescences femelles qui deviendront des régimes de dattes, pourvu qu’ils soient fécondés manuellement. La pollinisation manuelle est une opération culturale cruciale pour une bonne production de dattes. Celle-ci consiste à attacher minutieusement des épillets mâles avec des inflorescences femelles. « Ce qui rend cette opération très difficile à exécuter, c’est la nécessité de sélectionner les meilleurs épillets mâles et de monter plusieurs fois au faîte de chaque palmier pour en garnir les inflorescences femelles au temps opportun », a expliqué un phoeniciculteur de Lichana. Pour réaliser cette opération de pollinisation manuelle des palmiers, il est nécessaire de recourir au service de grimpeurs qualifiés. « Nous subissons les conséquences d’une cruelle pénurie de main d’œuvre qualifiée. Heureusement, je travaille avec une équipe de grimpeurs-pollinisateurs ne rechignant pas à la tâche mais trouver de bons ouvriers agricoles devient de plus en plus difficile. Si nous restons attachés à des techniques de pollinisation traditionnelle qui sont harassantes et délicates, c’est qu’elles sont les plus efficaces. La mécanisation de cette opération ne donne pas les résultats escomptés », souligne un producteur de dattes de Bordj Ben Azzouz. A propos de la production de spathes mâles pour la pollinisation, des chercheurs de l’Institut Technique de Développement de l’Agronomie Saharienne (ITDAS) et du Centre de Recherche Scientifique et Technique sur les Régions Arides (CRSTRA) de Biskra ont mis en avant la nécessité de développer et de disséminer les palmiers mâles à travers toutes les zones phoenicicoles. Par ailleurs, ces botanistes ont aussi planché sur l’utilisation d’un appareil appelé « poudreuse de pollen », permettant d’améliorer le dosage, la dispersion du pollen et l’attachement des épillets mâles et ainsi faciliter et rentabiliser le travail des grimpeurs. Faute de promotion de cette technique de pollinisation donnant d’excellents résultats en laboratoire, très peu voire aucun producteur de dattes ne semble y recourir pour fertiliser les régimes. « On préfère le travail traditionnel, l’achat de spathes-mâles et le recrutement de grimpeurs pour s’assurer d’un bon rendement des palmiers-dattiers », rétorquera-t-on. 

Hafedh M.  

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