En décembre 1993, l’assemblée générale des Nations unies instaure une Journée mondiale de la liberté de la presse. Célébrée le 3 mai suivant la déclaration de Windhoek, la capitale namibienne, rédigée le 3 mai 1991 par une soixantaine de journalistes africains, bouclant un séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste. 31 ans après, une telle déclaration a-t-elle atteint les objectifs tracés ? La question est posée. D’autant que la conception de la liberté d’expression diffère d’un coin à un autre de la planète. A cet effet, L’Est Républicain a essayé de tâter le pouls de la rue de la capitale des hauts plateaux sur le rôle de la presse dans le développement local. Sans le moindre filtre, nos interlocuteurs appartenant à différentes couches de la société ont joué le jeu, même si les avis divergent. « La presse n’est pas le quatrième pouvoir pour rien. Elle conditionne et fait les opinions. Son rôle est à la fois important et prépondérant dans la vie de tous les jours. Une presse professionnelle est essentielle pour tout développement économique car elle participe à l’édification de bases solides pour une société civile devant s’impliquer dans la vie sociale, économique, politique et culturelle du pays. Quoi qu’on dise, les médias traditionnels (presse écrite, radio, télévision) continuent d’occuper une place importante dans notre quotidien. Pourtant garants d’une information fiable, nos médias connaissent depuis un certain temps une nette régression. Le manque de professionnalisme en est malheureusement la cause. Privilégiant les faits divers et le sensationnel d’aucune utilité pour le commun des mortels, la presse en général, et locale en particulier, passe à côté, élude les sujets importants. Le travail sur terrain est relégué au dernier plan », révèlent sans ambages plusieurs cadres en retraite. « L’occultation de dossiers d’intérêt général touche tous médias traditionnels, pour lesquels la protection de l’environnement – un enjeu planétaire – n’est pas une priorité. La prolifération des sacs-poubelles en plastique garnissant les champs, les terres agricoles et les pourtours de nos cités n’est la priorité des médias que nous considérons comme des lanceurs d’alerte. Prenant les allures d’un gravissime phénomène, ce problème est pris au sérieux sous d’autres cieux. Chez nous, un tel fléau portant atteinte à notre faune et flore n’offusque personne. Ce ne sont pas les réseaux sociaux qui vont prendre à bras-le-corps une telle plaie. Même si on ne connait pas les contraintes et difficultés auxquelles sont confrontés les échotiers locaux travaillant certainement avec des moyens du bord, il est de notre devoir de mettre le doigt sur un tel péril menaçant l’avenir de nos enfants », précisent nos interlocuteurs, des défenseurs invétérés de la presse « papier ». « La couverture médiatique n’est plus la même. Les espaces réservés aux préoccupations du petit contribuable se sont rétrécis telle une peau de chagrin. Les grands projets comme le stade de 50.000 places, le deuxième CHU (Centre Hospitalier Universitaire, NDLR), l’extension de la piste de l’aéroport, la bibliothèque, le théâtre de verdure, la nouvelle gare routière, la réhabilitation de l’évitement nord de la ville et d’autres sujets sont inscrits aux abonnés absents, tout comme les importants quotas de logements. Créateur d’emploi et de richesse, l’investissement, un volet important dans la croissance économique de la région et du pays, a disparu des colonnes. Il en est de même pour le développement des zones d’ombre », diront des fonctionnaires et universitaires s’expliquant mal une telle situation. « Les médias doivent assumer une responsabilité sociétale et citoyenne pour véhiculer les préoccupations du citoyen et pallier, le cas échéant, les défaillances des élus ne prêtant aucune attention à la surcharge des classes et au manque de transport et d’équipements publics dans les nouveaux centres urbains. Mis en « veilleuse » depuis des années, le salon du livre de Sétif n’est pas la tasse de thé de la presse, pour laquelle l’acte culturel est un accessoire sans importance. Infestée de ragots et de commérages, la toile où l’info est instantanée et ne pourra pas remplacer les médias régis par des règles », maugréent nos interlocuteurs, accostés non loin du café du lycée, n’ayant désormais de café que le nom. Sachant que le célèbre espace où se rencontraient les élèves du lycée Mohamed Kerouani de la belle époque n’existe plus, des étudiants de l’université Ferhat Abbas de Sétif ont voulu inverser les rôles : « On veut bien vous livrer nos avis et opinions sur le sujet. On voudrait tout de même avoir un petit aperçu sur les difficultés de la presse qu’on critique à tort et à travers. Consultés pour des sujets qui fâchent, ‘’El Massouline’’, les responsables, en ‘’réunion’’ le plus souvent, ainsi que les dirigeants de l’ES Sétif, ne vous reçoivent pas avec un bouquet de fleurs et un tapis rouge, non ? », s’interrogent les jeunes universitaires, pour lesquels « la Journée mondiale de la liberté de la presse » a été l’occasion idoine pour connaître en « aparté » une infime facette d’une profession se trouvant à la croisée des chemins.
Kamel Beniaiche
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