L’histoire a ses points de repère que le nombre des ans, des décennies et des siècles ne saura effacer ou reléguer dans la corbeille du temps. Le 19 mai 1956 est un de ces points qui ont profondément marqué la lutte pour l’indépendance, lorsque des centaines de brillants étudiants et lycéens, promis théoriquement à un avenir meilleur que celui de leurs parents, ont déserté universités et lycées, pour rallier le maquis et l’Armée de Libération Nationale (ALN). « Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres » ! On raconte que cette réplique, contenue dans l’appel lancé par l’Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens (UGEMA) a été inspirée par Amara Rachid, un des membres fondateurs de cette organisation, aux côtés de Mohamed Seddik Benyahia, tué au combat à l’âge de 21 ans. « À quoi donc serviraient ces diplômes qu’on continue à nous offrir, pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm ? » La question ne demeurera pas longtemps sans réponse, sous une forme explicite, limpide et convaincue : « la fausse quiétude dans laquelle nous sommes installés ne satisfait plus nos consciences (…) Notre devoir nous appelle à la souffrance quotidienne aux côtés de ceux qui luttent et meurent libres face à l’ennemi ». « Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis ». « Il faut rejoindre en masse l’armée de libération nationale et son organisme politique le FLN ». Ces mots d’ordre ont été concrétisés par l’engagement massif de nombreux étudiants et lycéens. Un engagement qui a pesé de tout son poids sur l’évolution de la lutte de libération nationale. « Étudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin héroïque de notre pays, serions-nous des renégats ? » La réponse a été magistrale et sans équivoque : l’assassinat de Zeddour Belkacem par la police française, le meurtre du docteur Benzerdjeb, la tragique fin de Brahimi du collège de Béjaïa, brûlé vif par l’armée française, l’exécution sommaire de Réda Houhou, secrétaire de l’institut Benbadis de Constantine, les tortures qu’on a fait subir aux docteurs Haddam de Constantine, Baba Ahmed et Tobbal de Tlemcen, le martyre de Ferhat Hadjadj de Jijel, torturé et égorgé par la police coloniale. Cette courte liste des sacrifices consentis par les intellectuels, reprise de l’appel lancé aux étudiants par l’UGEMA, résume la teneur d’une révolte estudiantine consciente et convaincue, qui a su identifier toutes les sources du mal. Elle constitua un tournant dans la marche des Algériens vers l’indépendance et un jalon de l’histoire qui offre un ancrage aux jeunes générations.
Mohamed Mebarki
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