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Sur les planches de l’Institut Français d’Algérie à Annaba : « Larme de Cendres », une fiction qui nous rappelle à la réalité

Dans le cadre de ses ateliers théâtre, l’Institut Français d’Algérie à Annaba a dévoilé sa toute nouvelle production théâtrale, « Larmes de Cendres », écrite et mise en scène par Soufiane Sadouki et interprétée par Nadine Naceri et Sami Rachid Ghit. Cette œuvre, à la fois originale et riche en références, puise son inspiration dans plusieurs œuvres littéraires et cinématographiques marquantes, telles que « 1984 » de George Orwell, « V pour Vendetta » d’Alan Moore, ou encore le film « Brazil » de Terry Gilliam, sorti en 1985. Ces références, caractéristiques des années 1980, abordent toutes des thèmes universels tels que la liberté d’expression et d’être soi au sein de sociétés dystopiques et totalitaires… Mais pas que. Soufiane Sadouki va encore plus loin et propose une histoire où se mêlent réalité et fiction. Dans « Larmes de Cendres », nous découvrons le personnage de Carl Albert Fritz Gerlich, interprété par Sami Rachid Ghit, un journaliste déchu chargé de dévoiler l’identité d’une anarchiste se faisant appeler « Alice » et arborant le masque de Guy Fawkes, incarnée par Nadine Naceri. Pour cette nouvelle œuvre, Soufiane Sadouki a opté pour une mise en scène expérimentale, basée sur l’interprétation des comédiens sur une scène légèrement éclairée et quasiment sans décor. Dans un récit captivant, les acteurs ont su illustrer par leurs performances les horreurs de la Grande Guerre (1914-1918), la grande dépression des années 1920, l’avènement du fascisme, les affres de la Seconde Guerre mondiale, les génocides de populations entières, ainsi que la chasse aux sorcières qui s’est abattue sur les libres penseurs, les artistes et les journalistes dans les pays totalitaires et dictatoriaux qui ne cessent d’émerger. Ne pouvant s’empêcher de jouer avec le public, le metteur en scène a disséminé de manière subtile, mais visible, des indices tout au long de son texte, faisant référence à des événements passés certes, mais aussi à des événements récents. Dès le début, il implique son public dans le spectacle en brisant le quatrième mur, à travers le personnage d’Alice, comédienne déchue et révolutionnaire, qui partage ses souvenirs de « La nuit des masques brisés », où elle ne manque pas de rappeler à l’assistance que « De tout temps, les comédiens ont été des hors-la-loi qui disent les vérités qui dérangent en mettant en scène une fiction. » « Vous pouvez avoir une scène qui déborde de décors et d’effets sonores, autant de costumes et d’accessoires que vous voulez, mais si le jeu d’acteur n’est pas là et si l’histoire que vous racontez sonne faux, ce n’est que de la poudre aux yeux. De ce côté-là, je suis tenté de dire que j’ai eu de la chance, mais honnêtement non. En plus d’être des comédiens talentueux, Nadine Naceri et Sami Rachid Ghit ne ménagent pas leurs efforts, que ce soit sur scène ou dans les coulisses. Si l’âme de cette pièce a vu le jour sur scène, c’est grâce à leur travail et à leur engagement exemplaire », nous explique M. Sadouki. Et d’ajouter : « Vous savez, dans ma jeunesse, j’ai grandi avec les œuvres d’Alan Moore et j’ai toujours été passionné par l’histoire. Ce sont des personnes comme Carl Albert Fritz Gerlich et la regrettée Marie Catherine Colvin qui m’ont inspiré non seulement à devenir journaliste, même si je ne suis pas une lumière, je l’avoue, mais aussi à écrire. Cette pièce, aussi modeste soit-elle, est un amalgame des influences de ces libres penseurs qui ont marqué le monde, chacun à sa manière. Et en toute modestie, j’espère qu’avec cette œuvre, tout comme Gerlich, Mme Colvin et Moore, je contribue au devoir de mémoire à ma toute petite échelle. Ne serait-ce qu’en m’inspirant de leurs vies et de leurs œuvres. » Cette histoire s’inscrit dans l’Histoire avec un grand « H », car Carl Albert Fritz Gerlich a réellement existé. C’était un journaliste allemand qui, entre les années 1920 et le début des années 1930, a travaillé pour dénoncer la montée du parti nazi en Allemagne et le danger que représentait Adolf Hitler. Bien que cette période sombre de l’Histoire soit bien connue, la pertinence de cette pièce réside dans son traitement du devoir de mémoire. Elle évoque les horreurs commises pendant la Seconde Guerre mondiale et avant celle-ci, alors que le monde faisait la sourde oreille de peur de s’engager dans un conflit inévitable. Le parallèle avec la situation actuelle du monde est poignant à travers les dialogues et le jeu des comédiens. « La seule chose nécessaire au triomphe du mal, c’est l’inaction des gens de bien », une citation d’Edmund Burke, homme politique et philosophe irlandais du 17e siècle, reprise par Nadine Naceri dans le rôle d’Alice, résume toute l’œuvre et au-delà des planches de la scène, la réalité dans laquelle le monde s’enfonce irrémédiablement depuis des années. Cela dit, il y a de l’espoir tant que des personnes comme Gerlich reprennent le flambeau et inscrivent ces histoires dans l’Histoire. « Larmes de Cendres » est bien plus qu’une simple pièce de théâtre, c’est un appel à l’éveil des consciences, nous confrontant à nos contradictions, un procès de la peur et de la haine qui brisent les liens d’affection et réduisent les meilleurs anges de notre nature au silence. Cela nous rappelle les paroles du pasteur allemand Martin Niemöller : « Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester. »

RC

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