Née à Biskra en 1991 dans une famille d’intellectuels, dont le père était professeur de français et inspecteur de l’administration et la mère dentiste toujours en activité dans le secteur libéral, Manel Leina Abid est une passionnée de littérature fantastique. D’abord en suivant, dès sa plus tendre enfance, des dessins animés diffusés sur le petit écran, puis en lisant des romans et enfin en regardant des films d’horreur, elle est tombée dans le chaudron de ce genre littéraire « qui me fascine et que j’adule », confie-t-elle. Très vite, elle a commencé à se poser des questions sur la quintessence des vampires, des sorcières et des loups-garous qui peuplent l’imaginaire universel ainsi que sur la part de symbolisme et d’allégories que tous ces personnages fictifs véhiculent. Preuve et point d’acmé de cet amour pour les figures fantastiques et les monstres, « associés au mal et à la laideur et surgissant du fond des âges pour se retrouver dans des œuvres littéraires et cinématographiques », elle a soutenu, le dimanche 2 juin à la faculté des lettres et des langues de l’université d’Ouargla, une thèse de doctorat sur « l’impact sémiotique du mythe sur le fantastique dans le discours littéraire et l’inter-discursivité dans les œuvres de Lisa Jane Smith ». Dans ce travail de recherche placé sous la houlette de son directeur de thèse Abdelouahab Dakhia, elle s’est évertuée à mettre en relief les différentes transformations du mythe à travers les siècles et les sociétés, à déterminer la forme discursive du mythe et évaluer l’impact sémiotique de celui-ci, et enfin, à montrer que toutes ces figures connaissent une humanisation graduelle du fait qu’ils sont l’émanation des peurs et des doutes enfouis dans les tréfonds de la psyché humaine. Pour ce faire, elle a opté pour une méthodologie académique s’appuyant sur la mytho-critique, sur une approche comparative et sur l’herméneutique. Ceci avec le recours à un formidable corpus composé des quinze œuvres de la saga « Journal d’un vampire », de l’intégrité des tomes de « Night world » et de grands films, de séries télévisés et de mangas relatant les aventures des suceurs de sang, des gorgones et des lycanthropes, « lesquels sont toujours confrontés à des situations rappelant celles des personnes réelles qui, comme ces êtres malfaisants, sont toujours à la recherche de vérité sur l’essence humaine », souligne-t-elle. Dans un premier chapitre consacré à la genèse de ces trois figures fantastiques, elle a entrepris de retracer la provenance et l’origine des mythes fondateurs qui en ont façonné les représentations physiques et les caractères. A l’instar de F. Monneyron et J. Thomas, elle a soutenu que la figure mythologique est une figure mouvante, polymorphe et sujette à une constante palingénésie faisant qu’il n’est pas d’autre solution pour définir un mythe que de le cerner tout d’abord par ses réalisations et manifestations le plus anciennes mais sans toutefois chercher une inaccessible et hypothétique version primitive.
« Un mélange de haine et d’amour »
Dans le deuxième chapitre intitulé « Prolégomènes du mythique au littéraire », elle a étudié la matérialisation littéraire ainsi que son processus en analysant le cheminement des différents mythes dans la littérature fantastique. Déblayant ainsi le terrain du troisième chapitre portant sur la « Réhabilitation du monstre fantastique en héros », elle a mis en exergue des archétypes de ces personnages avec leurs similitudes et variations. « Je suis arrivé à la conclusion que ces créatures nocturnes sont les victimes de la modernisation, non pas au sens littéral du terme, mais en tant que sujets actifs dans un univers imaginaire en ébullition permanente où vampires, sorcières et loups garous sont inscrits dans une pyramide évolutive allant de l’aspect bestial, difforme, repoussant et monstrueux à une physionomie humaine, harmonieuse, fascinante et altruiste. Cette mutation suscite chez le lecteur ou le téléspectateur un mélange de haine et d’amour, de rejet ou d’empathie pour ces êtres qui sont à bien des égards des miroirs de nous-mêmes. Ce triptyque de figures mythiques reste un emblème de dualité car ils sont rongés par un dilemme intérieur reflétant la remise en question de l’être humain dans une incarnation dotée de morale, de valeurs et de droiture mais confrontée à son alter-ego lequel est, lui, sans scrupules. A la question s’il était le Diable, le Père Brown, personnage créé par le célèbre auteur britannique G. K. Chesterton, réplique : ‘’Non, je suis un homme et par conséquent j’ai tous les démons dans mon cœur’’. Voilà la situation à laquelle sont confrontés ces êtres fantastiques qui sont les figures de proue d’une humanité aux multiples facettes », explique notre interlocutrice. Questionnée par le jury sur la pertinence d’un tel sujet dans une société où les vampires n’existent pas dans l’imaginaire populaire et sur l’emploi du mot « vampirogonie » qui est un néologisme, Manel Leina Abid n’a pas eu à se défendre. Le professeur Fodhil Dahou, une autorité scientifique reconnue de toute la communauté universitaire nationale, a clos les débats. « Ce thème est tout à fait approprié. Nous n’avons aucun problème avec les vampires, les sorcières et les loups-garous. Ils vivent parmi nous sans que nous le sachions », a-t-il lancé avec une pointe d’humour. A noter que le jury, séduit par l’éloquence et la prestance l’oratrice, a attribué une mention très honorable à Manel Leina Abid. Celle-ci projette désormais de s’aventurer dans l’écriture de nouvelles fantastiques mettant en scène des êtres surnaturels de notre aire culturelle et géographique, a-t-elle promis.
H. Moussaoui
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