Le roman « Houaria » d’Inaâm Bayoud, qui a remporté, le 9 juillet dernier, le premier prix Assia-Djebar dans la catégorie roman en langue arabe, fait l’objet depuis plus d’une semaine d’une vaste campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. En quelques jours seulement, les critiques et les calomnies ont pris une allure démentielle. Du jamais vu dans les annales de la littérature algérienne ! Tous ceux qui ont fait de la défense des valeurs, de l’éthique et des « bonnes manières », un fonds de commerce leur permettant de ratisser large, se sont mis de la partie pour vouer aux gémonies, l’autrice, l’éditrice et Houaria, personnage central du roman. La virulence des attaques et des menaces parfois explicites a poussé la maison d’édition MIM à annoncer sa fermeture. « MIM a désormais fermé ses portes, contre le vent et contre le feu. Nous n’étions que des défenseurs de la paix et de l’amour et nous ne cherchions qu’à partager cela. Préservez le pays de la discorde et préservez le livre, car un peuple qui lit est un peuple qui ne peut être ni asservi ni affamé », a écrit l’éditrice dans un communiqué partagé sur Facebook. L’autrice et l’éditrice sont accusées de porter atteintes aux bonnes mœurs et à la morale, rien que ça. L’autrice est fustigée parce qu’elle s’est autorisée à faire usage dans son roman d’expressions choquantes, de mots crus et de passages très suggestifs ayant une connotation sexuelle. Il ne fallait pas plus pour que de nombreux internautes, qui n’ont pas encore lu le livre, de réclamer l’application du Code pénal à l’encontre de l’autrice et de la maison d’édition ! Incroyable mais vrai, pour ne pas dire ahurissant, même Assia Djebar n’a pas été épargnée par les critiques. La grande figure de la littérature maghrébine est vilipendée de la pire manière par des individus, qui n’ont jamais lu une de ses œuvres. Et si demain, le livre est traduit dans une autre langue, et récupéré par une maison d’édition étrangère ; et que cela va lui offrir une notoriété internationale ! Quelle sera la réaction de ses pourfendeurs et ses faux gardiens du « temple », qui se sont engagés dans une campagne hypocrite, prétextant défendre les « bonnes mœurs », en servant indirectement une cause qui n’est pas la leur. Cette déferlante d’intolérance est trop suspecte. Elle nous rappelle ce qui s’est passé il y’a de cela quelques années avec l’écrivain Rachid Boudjedra. Certes, le contexte n’est pas le même, mais la tragédie inquisitoriale est là. Et elle est vraiment inédite dans sa tournure brutale.
Mohamed Mebarki
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