Mardi 13 août 2024, il est 7h00 du matin. Une bonne ambiance règne dans l’enceinte de la gare ferroviaire d’Annaba à l’occasion de la réouverture de la première liaison ferroviaire commerciale entre Annaba et Tunis après une interruption de plus de trois décennies. Une foule de personnes se presse dans le hall de la gare. Ils se rangent déjà devant le guichet réservé exclusivement aux voyageurs à destination de la Tunisie verte (Tounès El Khadra). La joie se lit sur leurs visages. Des personnes de tous âges et de tous sexes continuent d’affluer vers la gare, suivies quelques minutes plus tard par les représentants de la presse écrite et audiovisuelle venus en force. À 7h45, le guichet s’ouvre. Les gens commencent à se bousculer alors que le thermomètre indique déjà 35°C à l’ombre dans la ville des jujubes. La vente des billets commence. Le prix du billet en première classe coûte 2.640 dinars algériens. Celui de la deuxième classe coûte 2.200 dinars algériens. Comme les prix des billets ne sont pas affichés, nombre de personnes présentes ne savent pas où donner de la tête du fait de la bousculade devant le guichet. Pourtant, il faut le signaler, toutes les mesures ont été prises par les responsables de la Société Nationale des Transports Ferroviaires (SNTF) pour offrir une prestation de qualité et assurer la sécurité et le confort aux voyageurs se rendant à la capitale tunisienne. Madjid, 42 ans, explique : « Ce n’est pas normal que les prix des billets ne soient pas affichés alors que les horaires du train Annaba-Tunis le sont. Je ne vais pas perdre mon temps à demander à chacun le prix du billet. Je suis déjà fatigué par le long voyage par route que j’ai effectué depuis Batna, ma ville natale. Croyez-moi, j’attends parmi cette foule depuis une heure, et ce, avant l’ouverture du guichet. Il va falloir que je fasse la queue pour connaître tous les prix ».
Quittance : un guichet sur place
En collaboration avec les responsables du Centre de Proximité des Impôts (CPI) de la wilaya d’Annaba, la SNTF a pris l’initiative d’ouvrir le guichet n°2 au sein même de la gare en vue de délivrer aux passagers la fameuse quittance au prix de 1.000 dinars algériens. Celle-ci est une sorte de taxe imposée aux touristes algériens en partance pour la Tunisie. Un septuagénaire commente : « Je trouve que c’est une bonne initiative prise par les responsables de la SNTF et du CPI d’avoir pensé aux voyageurs pour qu’ils puissent acheter ici même leurs quittances sans se déplacer au CPI où l’attente est longue et ennuyeuse. Malheureusement, les quittances qui y sont délivrées sont faites de façon manuelle ». Il suggère : « Pour pouvoir gagner du temps et éviter aux voyageurs la longue file d’attente, il serait souhaitable que l’opération d’attribution des quittances soit informatisée ». À 8h00, on procède à l’ouverture des portes d’embarquement pour le contrôle des bagages et autoriser les voyageurs à accéder aux quais pavoisés des drapeaux de l’Algérie et de la Tunisie. Avant que les portes du train ne s’ouvrent permettant aux passagers d’y monter, le contrôle des bagages n’a duré qu’une vingtaine de minutes. Un Algérois témoigne : « Voyager en train est une magnifique aventure, nous permettant de découvrir les beaux paysages de notre pays et ceux de la Tunisie et de tisser des liens de fraternité avec les peuples de ces deux pays. Il faut que l’Algérie développe le rail pour que les Algériens puissent prendre le train pour voyager parce qu’il est, à mon avis, le seul moyen de transport sûr et pas coûteux. Le voyage par avion coûte les yeux de la tête. Par exemple, le billet d’avion Alger-Tunis revient à peu près à 25.000 dinars algériens. Combien devrais-je payer pour un voyage d’une famille de quatre membres jusqu’à la capitale tunisienne ? J’ai donc pris la décision de prendre le train en compagnie de ma femme et de mes deux enfants en direction de Tunis afin d’éviter le voyage fatiguant par voie terrestre dont les risques d’accidents de la circulation sont omniprésents ».
Le trait-d’union
Initialement prévu à 9h00, le départ du train international à destination de Tunis a été officiellement lancé depuis la gare ferroviaire d’Annaba. Cela s’est fait en présence des responsables algériens de la SNTF et ceux de la Société Nationale des Chemins de Fer Tunisiens (SNCFT) ainsi que de la presse écrite et audiovisuelle. À 9h13, le train international quitte le quai et sort de la gare en partance pour la Tunisie. Ce train, dont le slogan est « Algérie-Tunisie : un seul train nous unit », est de retour. Les générations des années 70 et 80 se souviennent sans doute du train de voyageurs nommé trans-maghrébin. Il s’agissait du train qui parcourait toute l’Afrique du Nord, d’Ouest en Est en passant par l’Algérie, c’est-à-dire de Casablanca à Tunis en passant par Oran, Alger, Constantine, Annaba et Souk-Ahras. Le train qui effectue la première liaison commerciale entre Annaba et Tunis est flambant neuf et offre un confort agréable aux passagers. Ce train est climatisé et doté de cinq rames et de deux wagons dont l’un pour la restauration et l’autre pour les bagages. Sa vitesse maximale est de 100 kilomètres par heure. Une dame d’un certain âge souligne : « Le train est propre. Quant au personnel à bord, il est qualifié et efficace. Le voyage à bord du train est agréable ». Un agent de nettoyage est chargé de nettoyer le train et de ramasser les déchets tout au long du voyage.
Contrôle rapide à Souk Ahras
Initialement prévu à 11h10, le train entre en gare de Souk-Ahras à 12h20. La température extérieure dans la ville de Thagaste est de 38°C. Les voyageurs sont priés de descendre du train pour aller subir, dans une salle climatisée située dans l’enceinte de la gare ferroviaire, les formalités d’usage (présentation du passeport et de la quittance de voyage, vérification des bagages, etc.) accomplies par la police des frontières et la douane algériennes, sans oublier le personnel de la gare de Souk-Ahras. Une femme fait savoir : « Le service est rapide. Les policiers et les douaniers sont de vrais professionnels. Ils sont gentils et sociables avec nous ».
Chaleur et impatience à Ghardimaou
À 13h35, les passagers montent dans le train avant que celui-ci ne démarre à nouveau à 13h55 pour prendre le chemin de fer vers Ghardimaou en Tunisie. Le train diminue graduellement sa vitesse à cause des problèmes du relief terrestre. Il est 15h25 quand le train arrive à la gare de Ghardimaou, à la grande satisfaction des voyageurs. Ce jour-là, cette ville frontalière a connu un pic de chaleur qui tourne autour de 45°C. Les passagers redescendent avec leurs bagages, chose qui irrite plus d’un, que ce soit à Souk-Ahras ou à Ghardimaou. Un homme nommé Mahieddine a indiqué : « En cette période de grande chaleur, je ne trouve pas normal qu’on descende du train pour aller subir les procédures administratives à l’intérieur de la gare ». Il ajoute que les choses ont beaucoup changé depuis l’interruption de la ligne ferroviaire reliant Annaba à Tunis. « À l’époque, c’était l’inverse : les douaniers et les policiers montaient à bord du train pour procéder sur place au contrôle des bagages et à la vérification des passeports ». Son voisin précise : « Vous savez qu’on oblige les passagers à porter leurs bagages jusqu’à la salle de contrôle située dans la gare où sont installés le scanner et le portique. Il y a parmi ces voyageurs, qu’ils soient Algériens ou Tunisiens, des personnes âgées ou malades qui ne peuvent pas transporter leurs bagages dont certains pèsent lourd ». Après les formalités d’usage en terre tunisienne, le train reprend le chemin de fer à 16h50 en direction de Jendouba. En parcourant les hauts plateaux de la région de Ghardimaou, d’immenses terres agricoles à perte de vue défilent devant nos yeux à travers les vitres du train. La plupart des passagers sont à bout de force à cause de la chaleur et du retard qu’accumule le train. Le voyage est tellement fatiguant qu’ils ont fini par s’assoupir dans leurs sièges. Un couple constantinois tient à souligner : « Il y a de quoi se lasser. On descend du train pour se présenter sous une chaleur torride au poste frontière de Souk-Ahras puis auprès de celui de Ghardimaou ».
Dernière ligne droite
C’est vers 17h30 que le train atteint la ville de Jendouba, anciennement Souk Al Arba (marché du mercredi). Il reste 157 kilomètres à parcourir pour arriver à Tunis. C’est à Béja que les passagers, notamment les Tunisiens, ont poussé un grand ouf de soulagement en faisant savoir aux Algériens qu’il ne reste pas grand-chose : juste une heure et demie. Un Sétifien déclare : « Comme je suis encore fatigué, je n’ai pas bien dormi hier soir. Malgré la fatigue du voyage, cette expérience en train est belle pour moi. Elle restera gravée dans ma mémoire ».
Bienvenue à Tunis…
À 22h30, le train arrive avec un retard de quatre heures à la gare internationale de Barcelone sur la place éponyme de Tunis, la capitale. Un gérant d’hôtel situé à quelques mètres de l’avenue Bourguiba confie : « Nous sommes heureux que le train reprenne du service après une longue absence. Maintenant, on va pouvoir travailler avec les touristes algériens. Avant, nous étions en difficulté ». Le lendemain à 8h05, le train international quitte la gare de Barcelone pour regagner Annaba. À bord du train, une discussion à bâtons rompus s’engage entre un douanier tunisien et quelques passagers au sujet du contrôle des bagages aux deux postes frontières situés respectivement à Souk-Ahras et Ghardimaou. Pour ne pas faire subir de retard au train et éviter aux voyageurs de transporter leurs bagages à ces postes frontières, cet agent suggère que les responsables mettent en place un autre wagon équipé d’un scanner et d’un portique, mis à la disposition des deux corps constitués des deux pays. Un groupe de touristes algériens et tunisiens déclare : « Ce n’est pas normal que ce train fasse un retard de plus de quatre heures pour une distance de 357 kilomètres entre Annaba et Tunis. Ce sont les nouvelles mesures de contrôle des bagages et de vérification des passeports récemment introduites par les responsables qui sont à l’origine de cet immense retard ». À 21h45, le train arrive à la gare ferroviaire d’Annaba, où la plupart des voyageurs tunisiens se dépêchent d’aller réserver des chambres d’hôtel dans les parages.
Nejmedine Zéroug
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