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Ahcene Tlilani décortique le cinéma révolutionnaire : « Il faut motiver les artistes à créer et produire »

Ahcene Tlilani est professeur de lettres à l’université de Skikda, écrivain et traducteur. Ex-directeur de la Culture et des Arts de la wilaya d’Annaba, il compte à son actif plusieurs livres et publications scientifiques sur le théâtre et sur la Révolution. Il est également scénariste du long métrage Zighoud Youcef réalisé par Mounès Khammar, qui sortira bientôt. Dans cet entretien accordé à L’Est Républicain à l’occasion de la Journée nationale du Moudjahid coïncidant avec le 20 août, Pr Ahcene Tlilani pose son regard de chercheur et d’artiste sur la réalité du film révolutionnaire algérien, et explique le rôle du cinéma dans la préservation de la mémoire nationale.

Le biopic « Zighoud Youcef » réalisé par Mounès Khammar et dont vous êtes scénariste ne sortira pas ce 20 août comme vous l’auriez souhaité. Pourquoi est-ce important de marquer la Journée nationale du Moudjahid par une production cinématographique ?

Avant toutes choses, il faut noter l’importance des deux événements que sont l’offensive du Nord Constantinois et le congrès de la Soummam. Ce sont deux étapes cruciales dans l’histoire de la Révolution et de l’Algérie en général. Le congrès de la Soummam est pour moi un second premier Novembre 1954. Il a été la plateforme qui a tracé les grandes lignes de l’État algérien. La Journée du Moudjahid marque la date du 20 août 1955 et 1956. Ces deux dates phares n’ont pas suscité un grand intérêt auprès des chercheurs en histoire. Il existe quelques ouvrages mais leur contenu est superficiel et pas suffisamment détaillé. Selon certaines références américaines, l’évènement du 20 août 1955 compte à lui seul plus de 20.000 victimes dans le Nord Constantinois de Sétif, aux frontières tunisiennes, jusqu’à presque Touggourt et El Oued. Secundo, artistiquement parlant, ces deux événements n’ont pas eu le mérite d’être réalisés en film de fiction ou documentaire ni en séries télévisées. Quatorze villages ont été détruits par la France à cause de la tenue du congrès de la Soummam en Kabylie. Le plus grand cimetière des Chouhadas en Algérie se trouve à Ifri (Ouzelleguen), mais hélas, on n’a rien fait à ce sujet. Nous n’avons ni pièces théâtrales, ni romans, ni films sur cet événement qui a eu lieu du 13 au 20 août 1956 et qui fut impressionnant par son organisation. Il est du devoir des écrivains de mener des recherches pour publier des romans. J’aurais souhaité que la sortie du biopic « Zighoud Youcef » se tienne aujourd’hui parce qu’il évoque en grande partie le 20 août 1955. Il doit y avoir des explications à ce retard. Ça viendra ! C’est important de montrer aux jeunes la grandeur de la Révolution, les sacrifices, le patriotisme. Au-delà des événements, ce film véhicule des valeurs : l’intelligence et l’engagement des chouhada, le courage… Pour le 70ème anniversaire de la Révolution, j’aimerais qu’il y ait plus d’efforts dans les productions cinématographiques qui retracent notre histoire car c’est notre capital. C’est une étape où le peuple a atteint un niveau élevé d’engagement et de courage. C’est un ensemble de leçons à tirer, et le message doit passer entre autres grâce aux productions cinématographiques.

Les films révolutionnaires algériens doivent accrocher les jeunes pour passer le message. Quels sont les éléments qui vont attirer cette catégorie de spectateurs dans le film Zighoud Youcef ?

Il serait faux de dire que les jeunes s’ennuient et n’aiment pas regarder les films révolutionnaires. D’abord, Zighoud dans le film est un jeune algérien, simple forgeron, orphelin, d’une famille pauvre. Il a réussi à s’imposer et à se faire aimer au sein de sa communauté. Le film montre son intelligence et comment il a pu combattre la France. C’est un leader. Le jeune spectateur va voir comment Zighoud était entouré de jeunes comme lui. Il y a également la femme de Zighoud et sa fille Chamma, très attachée à son père et tellement attachante. Ce sont des modèles. La manière de présenter ces héros est importante pour accrocher les jeunes. Il faut éviter la froideur, la démagogie et la langue de bois. Le cinéma est un art collectif. Dans le film Zighoud Youcef, il y a un bon réalisateur, et une musique filmique composée par le grand Safi Boutella.

Comment évaluez-vous les films révolutionnaires algériens et comment peut-on les améliorer ?

D’abord en termes de nombre, il y a peu de productions. De grandes personnalités méritent des films bibliographiques. Barkat Slimane, ce Guelmois qui était avec Zighoud Youcef en prison et qui s’est sauvé avec lui, le grand Lakhdar Bentoubal, Benaouda, et bien d’autres. La liste est longue mais nous n’avons rien fait. Nous avons produit des films simples sans grand budget. Avec des scénarios simples et des réalisateurs moyens, le niveau ne suit pas. Pour faire un beau film, il faut de l’argent, des moyens. Il n’y a pas de mal à faire des collaborations avec des étrangers. La bataille d’Alger en est la preuve. C’est le film qui garde sa place. Nous n’accordons pas au cinéma sa juste valeur. Nous manquons de productions audiovisuelles pour valoriser la mémoire nationale. Tout art doit contribuer à cet objectif : peinture, sculpture, bande dessinées, etc. Le président de la République exprime souvent la volonté de préserver la mémoire nationale, il faut aller dans ce sens et traduire sa volonté en motivant les artistes à créer et à produire davantage.

Ne pensez-vous pas que jusqu’à présent, l’aspect militaire de la Révolution l’emporte sur les relations humaines dans nos films révolutionnaires ? Ne devrait-on pas accorder plus d’importance aux interactions humaines pour rendre les films plus intéressants ?

Effectivement, nous avons beaucoup consommé cet aspect militaire. Les batailles, les assassinats, les combats… et on a laissé de côté l’humain. Ces martyrs étaient des femmes et des hommes qui avaient des sentiments et des familles. Ils étaient des mères et des pères, à l’exemple de Fadila Saadane. Le problème est dans l’écriture des scénarios et des dialogues : il y a un manque flagrant de détails, sans oublier les tabous qui ne peuvent être abordés. Notre histoire a été sacralisée. Nous devons lever ce sacré dans l’écriture artistique, nous devons être créatifs et multiplier les travaux. Je pense que nous n’avons pas su exploiter les grands événements culturels où nous avons dépensé beaucoup d’argent sans pour autant laisser des travaux de bon niveau. J’espère que le biopic « Zighoud Youcef » sera projeté à l’occasion du 70ème anniversaire de la Révolution pour pallier un tant soit peu le manque de représentation lors des événements précédents.

Il n’y a pas que les personnalités historiques qui méritent des films. Qu’en est-il des lieux, personnalités locales, petits événements ?

Il y a des jeunes porteurs de projets qui ont pour objectif de mettre en lumière des personnalités locales ; il faut les aider et les encourager. Chaque région, chaque personnalité locale ou nationale mérite d’être racontée. Bouzered Hocine, par exemple, mérite un film. Il était à Annaba certes, mais ses actes ont eu un impact international ; il a pu faire 25 attentas. Il faut encourager les jeunes à raconter les petites histoires locales dans les villages, rues et ruelles. La Révolution a été portée par le peuple. La femme, le vieux, les enfants ont tous eu des rôles qui méritent d’être racontés. C’est ce qui va faire la différence. Il y a aussi des lieux qui sont témoins de notre Révolution même à l’étranger. Citons l’exemple de Mohamed Bensadok d’Annaba, ce jeune boxeur qui a assassiné Ali Chekal alors qu’il était assis à côté du président français, dans un attentat sans précédent. La Révolution algérienne est majestueuse. On doit la traduire dans la littérature, la poésie, la peinture, la chanson, mais on doit se concentrer sur l’image. Ce sont les travaux cinématographiques et audiovisuels qui répondent aux défis et enjeux actuels.

Il existe des témoignages et récits de vie au sein des différentes directions sectorielles des moudjahidines et dans les musées. Comment puiser dans ces ressources là pour enrichir les travaux artistiques ?

Dans chaque wilaya, il existe des musées. Les témoignages existent mais ne sont pas mis à la disposition du grand public. Pourquoi ne pas les partager, les mettre en ligne par exemple ? Dans un précédent entretien, j’avais exprimé la nécessité de faire sortir l’histoire des musées. Il faut mettre ces témoignages à la disposition des artistes et chercheurs universitaires, des gens créatifs… il faut les faire parvenir aux citoyens. Il faut les empiler dans des CD et des livres. Ça me fait de la peine de constater que le nombre d’ouvrages écrits par les Français sur notre Révolution est supérieur à ce que nous avons-nous-mêmes produit. A travers cet entretien, je lance un appel aux historiens et chercheurs algériens et aux autorités afin de poursuivre les efforts dans la recherche historique et passer le relais aux jeunes pour pouvoir exploiter ce qui existe et le traduire en travaux artistiques et scientifiques. Une chose importante est à retenir : la production artistique sur la Révolution est plus importante en termes d’impact sur le citoyen que les travaux scientifiques qui sont réservés aux chercheurs et à l’élite. Le cinéma, le théâtre et les arts en général touchent et influencent, ce qui fait passer le message d’une manière efficace.

Quels sont les films révolutionnaires algériens que vous aimez particulièrement ? 

J’aime « Chronique des années de braise » de Lakhdar Hamina, « Les enfants de Novembre » de Moussa Haddad, les films d’Ahmed Rachdi comme « Benboulaid ». Je n’ai pas encore visionné « Larbi Ben M’hidi » de Bachir Derrais pour donner mon avis. J’aime le film « Zighoud Youcef » dont je suis le scénariste. J’espère qu’on ne va pas tomber dans la répétition et les clichés. Il faut chercher d’autres axes de créativité. Le cinéma en Algérie est un dossier lourd. Pas de salles de projections, peu de réalisateurs, peu de critiques. Il faut rajouter le cinéma dans les spécialités universitaires et programmer des projections à l’université. Avec le baccalauréat artistique, je pense que nous avançons dans la bonne direction. Il faut avancer ! Le cinéma change les mentalités, lutte contre l’intégrisme et rend les sociétés plus civilisées.

Entretien réalisé par Fatima Zohra Bouledroua

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