Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse beau ou très chaud, Fouad Bensalem dit « Fouad le bouquiniste » occupe, depuis des années, un bout de trottoir au coin de la rue Baarir et de l’avenue Émir Abdelkader où il étale à même le sol des dizaines de livres et de revues qu’il revend à des prix modiques. C’est le dernier bouquiniste à la sauvette de la ville de Biskra. Il y a encore quelques années, il y avait plusieurs revendeurs de livres au centre-ville mais inexorablement ceux-ci ont été phagocytés par l’avènement de l’informatique et de la numérisation et de la disparition des lecteurs. Pourtant, Fouad tient le coup contre vents et marées. Chaque jour, on le voit traîner sa carriole chargée de livres. Il nettoie les lieux et dispose ses livres en rangées régulières et par thème. En attendant un hypothétique client, il se plonge dans la lecture d’un roman, feuillette un magazine, répare un ouvrage aux pages décollées où il compte la petite monnaie garnissant ses poches. Il gagne peu « mais assez pour ramener honnêtement le pain à la maison », confiera-t-il avec fierté. Le soir, il ramasse ses livres, fait le décompte de ceux qu’il a vendus et répertorie ceux que des donateurs lui ont ramenés ou qu’il a rachetés et il rentre chez lui avec sa carriole brinquebalante et surchargée devant lui. Il est âgé de 58 ans et père de famille. Demain, tel un Sisyphe, il recommencera cette tâche avec « le même plaisir et la même détermination », se plait-il à affirmer. Connaît-il seulement ce personnage de la mythologie grecque ? Sisyphe a été condamné par Zeus à rouler perpétuellement un énorme rocher jusqu’en haut d’une montagne, d’où il retombait sans cesse. Pour certains, il incarne les mouvements perpétuels de la nature, du soleil, des marées et des vents. Pour d’autres, il personnifie, à l’instar de l’interprétation qu’en fait Albert Camus, le malheur de l’Homme empêtré dans l’absurdité de la vie. Fouad n’aime pas cette analogie. Il connaît Ulysse, Cassandre, Narcisse, Achille, Œdipe et une pléiade d’autres personnages mythologiques. Il aime son travail à travers duquel il a appris à lire et à densifier ses connaissances de la nature et des femmes et des hommes venant à sa rencontre à la recherche d’un livre. Bien que la vie ne l’ait pas épargné puisque il a perdu une fille emportée par une maladie et que son fils, âgé de 16 ans, s’est donné la mort il y a quelques mois, il ne baisse pas les bras pour subvenir aux besoins de son épouse et de ses deux autres enfants occupant une chambrette dans la maison paternelle de la cité Lemssala, où se serrent plusieurs autres familles de ses proches. Stoïque, sage et avenant, Fouad a deux rêves : celui d’avoir un local pour développer ses activités dévolues aux bibliophiles et celui de bénéficier d’un logement social pour extirper sa famille de la promiscuité et de la mal-vie. « J’accepte mon sort en rendant grâce à Allah pour ses bienfaits et en l’implorant de m’octroyer la force de pousser ma charrette et de juste m’acquitter de mon travail quotidien qui est d’offrir aux lecteurs des livres et des magazines en arabe et en français. Il est vrai que le nombre de lecteurs à drastiquement baissé ces dernières années mais il y a encore des passionnés qui préfèrent l’odeur et l’appréhension d’un livre physique à l’utilisation et la froide manipulation d’une tablette ou d’un Smartphone. Il y a plusieurs années, j’ai déposé une demande d’un logement social mais Tyché, divinité romaine de la fortune et de la prospérité, et Kairos, porteur de chance, ne me connaissent certainement pas », confie-t-il avec une pointe.
H. Moussaoui
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