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Vacances en Tunisie : De l’euphorie à la grande désillusion

Le 12 août 2023, le dernier tronçon de l’autoroute Est-ouest reliant la ville de Dréan, dans la wilaya d’El Tarf, à la frontière tunisienne, a été inauguré, au grand bonheur des habitants de la zone frontalière et des millions d’Algériens qui préfèrent passer leurs vacances en Tunisie.

Cette nouvelle portion de 84 kilomètres, traversant les communes de Dréan, Besbès, Sidi Kaci, Zerizer, Lac des Oiseaux, Ain El Assel, El Tarf et Khenguet Aoun, est un véritable bijou qui facilite considérablement la circulation entre les deux pays. « Conduire sur ce segment de l’autoroute dans la wilaya d’El Tarf, que nous empruntons pour la première fois, est un vrai plaisir. Nous roulons sereinement, tout en profitant des magnifiques paysages qui défilent devant nous. Cette nouvelle route, tant attendue, nous permet de gagner du temps et d’éviter les embouteillages monstres des routes nationales, typiques de cette saison. L’ouverture partielle du tunnel de Djebel El-Ouahch à Constantine, où la circulation est relativement fluide, est la cerise sur le gâteau. Ces infrastructures nous font gagner un temps précieux. Les désagréments de l’ancien itinéraire menant à la frontière sont désormais de l’histoire ancienne. Au lieu de mettre des heures pour atteindre les postes frontaliers, le temps de trajet est réduit de moitié. De plus, la conduite n’est pas entravée par des ralentisseurs ou par de nombreux poids lourds, désormais presque « invisibles » sur le tronçon Constantine-El Tarf. Le seul bémol du tronçon Annaba-El Tarf reste l’absence d’une aire de repos avec toutes les commodités nécessaires, un aspect qu’il faudrait améliorer et entretenir. Pour s’approvisionner en fuel, manger ou prendre un peu de repos, il faut attendre les relais de Ruscida ou celui de cap de Boukaroune », nous confient des conducteurs ravis, le vendredi 23 août 2024, à la station Naftal d’Ain El Assel, où nous faisons le plein d’essence (dont le prix est multiplié par quatre en Tunisie, avec un litre coûtant 2,5 DT, soit environ 170 DA au taux parallèle). Si la belle ville d’El Kala a énormément changé, le temps semble s’être arrêté à Oum Teboul, où un décor lugubre orne l’artère principale de la localité, où l’insalubrité est criarde. Comme des gardiens du temple, des vendeurs de monnaie tunisienne occupent les coins de la chaussée. Mahmoud, un homme barbu, s’approche de nous pour proposer 100 dinars tunisiens (DT) en échange de 7.000 dinars algériens (DA). Après avoir dévoilé notre identité et l’objet de notre visite, Mahmoud se livre : « Ne nous voilons pas la face, la vente de monnaie et la contrebande d’essence et de produits alimentaires hors de portée des bourses tunisiennes sont nos seules sources de revenus. Nous n’avons pas le choix. Comme c’est vendredi, la seule station d’essence de la localité n’est pas prise d’assaut par les passeurs tunisiens », souligne-t-il avec amertume, avant de nous proposer de le revoir à notre retour.

L’assurance voyage algérienne non valable en Tunisie

À notre grande surprise, notre parcours du combattant commence au poste frontalier tunisien, où l’anarchie règne en maître. Pour faire face à l’afflux massif de « touristes » algériens, les postes de la police des frontières et de la douane semblent avoir rétréci comme une peau de chagrin. En 2023, un record a été établi avec l’afflux de 2,7 millions de touristes algériens vers la Tunisie, mais ces derniers sont souvent méprisés et malmenés à la frontière, où l’assurance voyage algérienne est tout simplement refusée par la douane tunisienne. Confronté à cette situation inattendue, le « touriste » algérien est contraint de payer 70 DT (4.900 DA) pour une assurance de huit jours émise par une « Compagnie d’Assurances et de Réassurances Tuniso-Européenne ». Miloud, un enseignant d’informatique à l’université de Constantine, s’indigne : « J’ai visité plusieurs pays de différents continents où l’assurance voyage délivrée par une institution algérienne n’a jamais été contestée ou refusée. C’est hallucinant ». Mounir, gérant d’une unité de transformation de plastique à Alger, ajoute : « Les autorités algériennes devraient intervenir pour mettre un terme à cet abus ». Nous avons pour notre part connu le même désagrément.

La « bienvenue à nos frères Algériens» prend la clé des champs

Sur les 9,4 millions de touristes ayant séjourné en Tunisie l’année dernière, 3,2 millions étaient des Algériens. Avec les 2,3 millions de Libyens, ils constituent 57 % des arrivées, toutes nationalités confondues. Paradoxalement, l’engouement des Algériens pour la Tunisie ne pèse pas lourd dans la balance. La destination n’est plus ce qu’elle était avant la pandémie de Covid-19. Tout a changé. L’atmosphère est alourdie par la crise économique, et l’accueil réservé aux Algériens s’est dégradé. La banderole de bienvenue à nos « frères algériens » s’efface à la sortie du poste frontalier et du dernier hôtel de Tabarka. « La qualité des services et la disponibilité du personnel hôtelier appartiennent désormais au passé. La dégradation est évidente. Dépenser 180 euros pour une demi-pension de mauvaise qualité est une folie », déclare Mahmoud, directeur d’un bureau d’études à Tizi Ouzou, rencontré dans un hôtel de Tabarka.

La face cachée des campagnes de séduction

Pour dépasser les records de 2023, les professionnels du tourisme inondent la toile d’offres alléchantes, mobilisant les voyagistes algériens qui affrètent des bus pour faire du volume. « La crise, qui a entraîné une baisse conséquente des activités touristiques, est derrière nous. Forte de son tourisme balnéaire, la Tunisie a redoublé d’efforts pour faire revenir les touristes européens, principalement ceux des pays de l’Est. Avec un excellent rapport qualité/prix par rapport à des destinations concurrentes comme le Maroc et la Grèce, le défi est relevé. Nos anciens partenaires sont de retour. Les hôtels de Hammamet et Sousse, pour ne citer que ces deux grandes stations, affichent complet, notamment pour les établissements quatre et cinq étoiles où la qualité du service est désormais aux normes. Cependant, l’animation des soirées est exclusivement destinée à la clientèle européenne. Nous continuons par ailleurs à répondre aux demandes d’une certaine catégorie de familles algériennes », souligne Slim, gérant d’une agence de voyage, sous le sceau de l’anonymat. Il poursuit : « Les crises économique et politique de ces dernières années ont un impact négatif sur le comportement des Tunisiens, qui ne font plus la distinction entre démocratie et anarchie. Le laxisme des autorités a engendré des comportements néfastes pour l’économie, en premier lieu le tourisme. Le civisme d’autrefois est bafoué, et chacun se croit tout permis. Les pénuries de certains produits de base et la dégradation du pouvoir d’achat ne font qu’aggraver la situation ». Dépensant en moyenne entre 1.000 et 1.500 euros pour un séjour de sept à neuf jours, le touriste algérien n’est plus aussi bien accueilli par les habitants et les commerçants de Nabeul et Sousse, où le slogan : « C’est à prendre ou à laisser » est de rigueur. « En Tunisie, les temps ont changé, tout comme les bonnes vieilles habitudes des gens et des commerçants, autrefois courtois et bienveillants. On ne sent plus la chaleur d’antan. On a l’impression de ne plus être les bienvenus, alors que les Algériens dépensent sans compter. Le célèbre port Kantaoui, où des « parkingueurs » vous forcent à payer une dime de 02 DT, n’est plus le même. Les prix des produits de consommation courante ont flambé. Par exemple, une bouteille d’eau minérale coûte désormais un dinar tunisien (70 DA). Nous sommes déçus. La Tunisie n’est plus ce qu’elle était. Pour passer de bonnes vacances, nous sommes désormais contraints de choisir d’autres destinations, comme la Turquie par exemple. Traverser la frontière pour être malmené et mal accueilli n’est plus une option », déclarent plusieurs Algériens rencontrés à Nabeul et Sousse, notamment aux marchés de la céramique et de l’artisanat où les prix ont été multipliés par deux sinon plus.

Le retour, un véritable parcours du combattant

Dimanche 1er septembre 2024, retour à la maison. Comme tout le monde, nous quittons Tabarka à huit heures du matin. À notre grande surprise, les guichets supplémentaires censés « faciliter » le transit des Algériens, que l’on ne considère apparemment pas comme des touristes, sont tout simplement absents au poste frontalier tunisien de Melloula. Il faut élever la voix et jouer des coudes pour se frayer un chemin. « Les responsables de l’office du tourisme tunisien ont-ils conscience de l’accueil réservé aux Algériens à Melloula ? Je serais curieux d’entendre leur avis », s’interroge Djamel, pédiatre à Blida. Djamel un commerçant de Béjaïa, abonde dans le même sens : « Ils n’ont aucun respect pour nous. Nous sommes des touristes, pas du bétail. Font-ils la même chose avec les Européens ? ». « A travers les colonnes de l’Est Républicain, nous souhaiterions attirer l’attention des plus hautes instances des deux pays, œuvrant pour une véritable amitié et fraternité des deux peuples. De plus en plus nombreux à venir chez nous, les Tunisiens tout comme nos frères Libyens sont des rois en Algérie. Un peu de réciprocité ne fait pas de mal », fulmine Tarek, considérant sa douzième virée tunisienne comme la dernière. En quittant la frontière, on se retrouve face à une interminable file de voitures et de bus s’étendant sur plusieurs kilomètres. « Avec le report inattendu de la rentrée scolaire, nous avons eu cette idée de prolonger les vacances, mais cette interminable attente empoisonne déjà le séjour des enfants qui ne supportent plus ni la chaleur suffocante, ni l’attente », se plaignent plusieurs pères de famille essayant de prendre leur mal en patience. Avant de reprendre la route, nous décidons de faire une halte à Oum Teboul pour prendre un café et faire le plein de carburant. Mais à notre grande déception, la station est assiégée par des centaines de véhicules tunisiens venus se ravitailler. Un immense embouteillage s’est formé, et la station est même fermée faute de carburant. Comme prévu, nous retrouvons Mahmoud, qui ne reste pas indifférent face à ce qu’il considère comme un véritable siphonage : « La solidarité est une vertu, mais le vol de notre carburant est un crime économique. La station d’Oum Teboul est quotidiennement prise d’assaut par des Tunisiens ainsi que par des contrebandiers algériens, propriétaires de vieilles Mercedes 200 et 250. D’énormes quantités de carburant sont transférées de l’autre côté de la frontière, où le prix est inabordable. Il est urgent de mettre fin à ce trafic », souligne avec émotion cet enfant d’Oum Teboul, attendant depuis longtemps un « lifting » qui tarde à arriver. Finalement, nous retrouvons l’autoroute Est-ouest bordée d’une nature féerique, un spectacle qui fait oublier, pour un moment, ce séjour tunisien en demi-teinte…

De notre envoyé spécial: Kamel Beniaiche

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