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Violences contre les femmes : Le tabou qui tue !

La jeune femme qui se trouve dans le bureau du médecin légiste est accompagnée d’un homme à la mine patibulaire. Le couple n’est pas du tout assorti et cela se remarque au premier coup d’œil. Elle plutôt frêle et habillée soigneusement, et lui massif et négligé dans son bleu de chauffe sale et complètement délavé. Le Dr M. ne s’encombre à priori pas de préjugés, il s’attelle à ausculter sa patiente. Les bleus que cette dernière porte au front et à la joue gauche semblent toutefois l’inquiéter, puisqu’il prolonge sa consultation comme pour s’assurer qu’il n’y a pas de risque de complication. Ceci d’autant plus que la dame ment de toute évidence en déclarant que la raison des ecchymoses est due à une chute dans des escaliers. C’est le comportement du couple qui a éveillé l’attention du docteur M. La patiente est, en effet, craintive et sursaute à la moindre de ses questions. Ses déclarations sont on ne peut plus confuses, incohérentes. L’homme est, quant à lui, trop prévenant pour être honnête. Il répond à la place de sa femme, lui suggère même ses réponses. S’apercevant de ce manège, le médecin légiste décide, alors, de faire sortir l’accompagnateur. Peine perdue car, même seule, la femme ne veut pas parler. On est devant un cas atypique de violence conjugale dans un contexte d’omerta. Le rôle du médecin dans la défense contre ces méfaits, malheureusement trop fréquents dans notre société, est primordial. Le médecin est le plus souvent le premier interlocuteur et un acteur privilégié dans la chaîne de prise en charge des femmes victimes de violence. Il a un rôle clé dans le dépistage de ces violences, le recueil de l’histoire, le constat des lésions et la rédaction d’un certificat, pièce essentielle lors d’un dépôt de plainte. Il a aussi un rôle stratégique en donnant des conseils aux femmes, en les informant de leurs droits et en les orientant au mieux des circonstances vers ceux qui ont pour mission de les extirper de leur peu enviable situation. « Trois catégories de médecins sont en première ligne pour recueillir les doléances des femmes et dépister les signes de violence : les médecins généralistes en médecine libérale, les urgentistes dans les hôpitaux et les gynécologues-obstétriciens, soit à l’occasion des visites de contrôle, soit lors de la grossesse qui est, par excellence, le moment où la femme consulte à de nombreuses reprises les médecins et les sages-femmes dans un climat de confiance », nous confiera le docteur M. « Parmi les services hospitaliers, ce sont les services d’urgences qui occupent une place privilégiée en raison des possibilités d’accueil 24H/24, et d’une certaine forme d’anonymat.

Réticences et freins culturels

Mais ces services sont trop débordés pour s’occuper de ce genre de problèmes », regrettera-t-il. Pour lui, trop d’obstacles se dressent devant le spécialiste dans sa quête de vérité sur le phénomène des violences conjugales : « La méconnaissance de la fréquence et de la gravité des violences conjugales ou domestiques persiste dans les milieux de soins, ce qui s’explique par des réticences, des freins culturels liés au milieu dans lesquels la femme vit et qu’il convient de mettre en lumière pour adopter des mesures correctrices efficaces ». A notre question relative au nombre et à la fréquence des cas de violences de ce type, le docteur M. se limitera à une réponse approximative. « En l’absence de signes évocateurs et de témoignages formels, la seule possibilité de découvrir les violences est le dépistage systématique, très peu fait par les médecins algériens, la plupart des femmes n’osant pas ou ne souhaitant pas parler de ce qu’elles subissent.  Certaines situations sont dues au jeune âge de la femme, une séparation récente ou une instance de divorce. Elles peuvent être également dues à une instabilité du couple, l’alcoolisme du conjoint ou tout simplement l’autoritarisme de celui-ci. Le conjoint sans emploi ou encore un état de précarité du ménage sont également des facteurs aggravants », expliquera encore notre interlocuteur. Il se montrera plus inquiet en évoquant l’escalade possible et la dégénération en crime caractérisé des violences dites conjugales. A ce propos, il dira : « Il convient d’apprécier les conséquences somatiques des lésions traumatiques, mais aussi gynécologiques qui peuvent survenir à la suite de rapports sexuels forcés (maladies sexuellement transmissibles, y compris le virus du Sida). Et aussi évaluer l’impact des violences sur le psychisme qui peut conduire la femme à de graves manifestations anxieuses ou phobiques, à la dépression, à des tentatives de suicide ou à un comportement d’accoutumance vis-à-vis des drogues psychoactives ou des médicaments psychotropes ». Le médecin légiste conclura en prévenant qu’on doit se garder de sous-estimer le caractère particulièrement destructeur qu’un climat de violence à long terme exerce sur la femme, quelle que soit la gravité de signes cliniques apparents.

Ahmed Allia

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