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70e anniversaire du déclenchement de la Révolution : Des crimes impunis à la flamme du 1er Novembre 1954

Pendant plus de 130 ans, l’Algérie a enduré un régime colonial marqué par des politiques d’oppression, d’exploitation et de violence systématiques. Dès l’invasion de 1830, la conquête s’est illustrée par des campagnes militaires d’une extrême brutalité, incluant des massacres de civils, des enfumades et des déportations massives visant à anéantir toute résistance. La spoliation des terres, au cœur du projet colonial, a privé des milliers de familles algériennes de leurs moyens de subsistance, réduisant les populations locales à la misère et au travail forcé. Ce système d’exploitation s’est accompagné d’une ségrégation raciale institutionnalisée, reléguant les Algériens au rang d’indigènes et de citoyens de seconde zone dans leur propre pays. Analyser cette période, c’est lever le voile sur une infime partie de la colonisation qui a été impitoyable, et comprendre le cas échéant les ravages de la domination coloniale marquée par une extrême violence. Plusieurs épisodes sanglants demeurent méconnus du grand public, principalement des jeunes générations ne connaissant presque rien du sujet que nous abordons, à savoir les massacres qui ont été les détonateurs de novembre 1954… 

Le premier massacre de civils

Le 26 novembre 1830, Blida fut le théâtre du premier massacre de civils perpétré par l’armée française, à peine quatre mois après la prise d’Alger. En réponse à une attaque contre la garnison, le colonel Rullière ordonna le saccage de la ville. En quelques heures, Blida fut jonchée de cadavres, parmi lesquels des vieillards, des femmes et des enfants, ainsi que des membres de la communauté juive, tous inoffensifs. Selon des témoins, des enfants furent tués de manière effroyable. L’armée française quitta la ville en emportant des dizaines de manuscrits anciens volés de la grande mosquée de Blida, plus tard vendus aux enchères à Paris le 28 mai 1968 à l’hôtel Drouot. Le général Clauzel perpétue le premier massacre : « J’ai ordonné aux bataillons de détruire et de brûler tout ce qui se trouve sur leur passage ». Une fois le crime accompli, il s’en lave les mains : « Quand on fait la guerre, ce n’est pas pour accroitre l’espèce humaine ».

Le martyr des Aoufias, une tragédie aux portes d’Alger

Dans la nuit du 6 au 7 avril 1832, les Aoufias, une tribu pacifique établie sur la rive gauche de l’oued El Harrach près d’Alger, furent attaqués dans leur sommeil. Environ 500 soldats furent envoyés par le général Savary, Duc de Rovigo (gouverneur de l’Algérie à l’époque) pour perpétrer un autre carnage. Les survivants, femmes et enfants compris, furent égorgés sans pitié, et le butin, comprenant du bétail et des bijoux arrachés aux corps des victimes, fut vendu à Alger. Certains soldats revinrent même de cette expédition macabre en exhibant des têtes décapitées. Comme à l’accoutumée, le colonisateur minimise ses crimes et parle de 60 victimes alors que d’autres sources plus fiables évoquent 1.200 victimes.

Ketchaoua, symbole de la résistance algérienne

La mosquée de Ketchaoua, un symbole de la résistance algérienne, fut transformée en écurie puis en église sous le nom de Cathédrale Saint-Philippe. Offensés, les Algériens se rassemblèrent pour protester le 18 décembre 1832. Sur ordre du gouverneur Le Duc de Rovigo, plus de 4.000 fidèles furent exécutés. Ce massacre visait à affaiblir la population algérienne et à effacer son identité. La mosquée a été construite durant l’ère ottomane en 1612 et reconstruite en 1794. Complètement démolie par la France plus tard, elle a été restaurée après l’Indépendance, et le premier prêche du vendredi y fut prononcé par Cheikh Mohamed El Bachir El Ibrahimi le 2 novembre 1962, marquant un retour symbolique à ses origines après 124 ans de transformation en cathédrale. Le 18 décembre 1832 est un autre épisode sanglant des crimes commis en Algérie, pour affaiblir les Algériens et effacer leur identité. 

Les enfumades des Ouled Riah, un « cas d’école »

Le 18 juin 1845, le colonel Pélissier extermine la tribu des Ouled Riah, composée de femmes, d’enfants et de vieillards, dans les grottes de Nekmaria, située à l’est de Mostaganem. Le brasier carbonise plus de 700 personnes. Un officier espagnol rattaché à l’Etat-major de Pélissier parle de 760 victimes. Plus de 700 personnes périrent dans ce brasier. Le principal commanditaire d’un crime aussi abject, en l’occurrence le maréchal Bugeaud, trouve le moyen de le justifier : « C’est une cruelle extrémité, mais il fallait un exemple terrible qui jetât la terreur parmi les fanatiques et turbulents montagnards ». Comme il n’a pas pu obtenir la soumission des Ouled Riah, le colonel Pélissier décide de les enfumer. Ce massacre abominable marque l’une des prémices de l’usage de gaz pour l’extermination, bien avant l’Allemagne nazie.

L’abominable massacre de Zaatcha

L’oasis de Zaatcha, au nord-ouest de Biskra, fut le théâtre d’une bataille sanglante entre les forces françaises et les résistants algériens dirigés par Cheikh Bouziane. La détermination des combattants algériens met à rude épreuve la colonne du général Herbillon. Après 120 jours de siège, l’assaut final, le 26 novembre 1849, se termina par un massacre presque total des habitants. Seuls un aveugle et quelques femmes survécurent. Les chefs de la résistance comme Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek dit chérif « Boubaghla », Cheikh Bouziane et son fils, Moussa El Darkaoui, Si Mokhtar Ben Kouider furent exécutés, et leurs têtes exposées au Musée de l’Homme à Paris. Après une activité inlassable des défenseurs de la mémoire et suite à un forcing des plus hautes autorités du pays accordant à l’histoire une grande importance, le 5 juillet 2020, la France restitua 24 crânes de combattants algériens, dont ceux de Bouziane et de Chérif Boubaghla. « Emprisonnés » dans des cartons, ils comptent parmi les 536 crânes de preux ont été exposés au regard des foules « parisiennes » durant des décennies.

Mai 1945, détonateur de Novembre 1954

Le 8 mai 1945, la planète entière est en liesse. La joie du monde libre est indescriptible en raison de la capitulation de l’armée nazie. La fin d’un cauchemar qui a duré plus de cinq longues années se propage comme une traînée de poudre. En ce jour de libération, l’Algérie, qui a payé un lourd tribut lors des deux guerres mondiales pour « libérer » la France, célèbre cependant un deuil. Portés par l’euphorie de la victoire, des milliers d’Algériens défilent à Sétif et ailleurs, réclamant à leur tour plus de droits et la reconnaissance de leur identité. Ils exigent l’égalité des droits, tout comme il y a eu égalité des devoirs pendant la guerre. Mais cette marche pacifique est réprimée dans le sang. Mutilée, l’Algérie a été contrainte, en ce jour de victoire sur le totalitarisme, de « regarder » autrement ceux qui ont gagné la guerre. L’historien Américain Todd Shepard disait vrai : « Dans le récit algérien, Sétif est évidemment un événement inaugural […] Pour la conscience et l’historiographie algérienne, la guerre d’Algérie a commencé en mai 45 ».

Essais nucléaires à Reggane, l’autre crime impuni

Le 13 février 1960, la France effectua son premier essai nucléaire à Reggane, “Gerboise bleue”, d’une puissance de 70 kilotonnes, trois à quatre fois plus puissante que la bombe d’Hiroshima. La bombe a eu des retombées radioactives plus longues que prévu. Après la “Gerboise bleue’’, trois autres essais nucléaires atmosphériques ont été effectués à Reggane entre 1960 et avril 1961 : « Gerboise Blanche » le 1er avril 1960, « Gerboise rouge » le 27 décembre 1960, et le 25 avril 1961. Les habitants de la région, des décennies plus tard, vivent toujours avec les effets des retombées de ces essais nucléaires, une avocate porte plainte contre la France. 

Le 11 décembre 1960, un référendum d’autodétermination

Le 11 décembre 1960, une grande manifestation éclate à Alger, rassemblant des milliers d’Algériens venus réclamer l’indépendance et dénoncer la domination coloniale française. En réponse, les forces de l’ordre coloniales répriment brutalement les manifestants, usant de violence pour étouffer une aspiration légitime. Des centaines de personnes sont arrêtées, blessées, et plusieurs perdent la vie dans cette répression sanglante. Cet événement marquant a renforcé la détermination du peuple algérien et a attiré l’attention internationale sur la lutte pour l’Indépendance, accélérant ainsi la fin de la colonisation. Dimanche 11 décembre 1960, ont été assimilées par des observateurs à un « référendum » en faveur de l’Indépendance, qui a eu des conséquences immédiates sur la Révolution au plan international et isolé la France sur la scène internationale. En effet, à l’occasion de la 15ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), une résolution reconnaissant le droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple algérien et la nécessité de négociations algéro-françaises, pour trouver une solution pacifique sur la base de l’intégrité territoriale de l’Algérie, a été adoptée le 20 décembre 1960.

Massacre d’Algériens au cœur de Paris

Le 17 octobre 1961, cinq mois avant la fin de la guerre d’Algérie, plus d’une centaine d’Algériens ayant pacifiquement manifesté à Paris contre le couvre-feu imposé par les autorités françaises sont « noyés par balles » dans la Seine. Le lendemain, les rapports officiels minimisent l’ampleur de la violence, ne font état que de deux morts du côté des manifestants et deux blessés par balle parmi les forces de l’ordre. Comme la vérité finit toujours par prendre le dessus sur le mensonge et les contrevérités, environ 393 morts et disparus, dont le sacrifice n’a pas été vain. En ouvrant la page sombre et funeste de quelques-uns des massacres les plus marquants et révélateurs de cette violence qui a profondément marqué l’histoire algérienne, nous avons, en ce jour mémorable du 70e anniversaire de la glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954, souhaité rendre hommage à ceux qui ont résisté et à toutes les victimes d’un système colonial qui n’a jamais hésité à utiliser les moyens les plus cruels pour maintenir sa suprématie, en vain.

Les vérités historiques à l’épreuve des « maquillages » 

Lorsqu’on aborde le volet des archives coloniales en Algérie, les concepteurs d’une histoire « préfabriquée » n’éprouvent aucune gêne à faire une sélection de manière à occulter les vérités qui condamnent la France pour avoir perpétré des crimes contre l’Humanité et des génocides. Même en petites « gouttes », le déverrouillage des archives dévoile les pratiques sanglantes des tortionnaires, dont le maréchal Bugeaud qui a instauré une prime à la tête coupée. La vérité historique nous contraint à ne pas verser dans « l’exagération », et nous oblige en revanche de traquer les mensonges d’Etat et remettre en cause les maquillages des vérités historiques que nous livre l’historiographie coloniale…

Kamel Beniaiche

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