La patrie, notre belle et fertile Algérie, notre mère nourricière, la terre qui a enfanté le courage et la bravoure, fait ces derniers temps l’objet d’une « guerre » mémorielle des plus abjectes. Des plumitifs ayant vendu leur âme et « rétrocédé » pour un dirham de servitude, leur identité et le reste de leur dignité, se font les relais et agents de service d’un colonialisme d’un genre nouveau. Cicéron avait raison lorsqu’il déclarait : « La première loi de l’histoire est de ne rien dire de faux. La seconde loi est d’oser dire ce qui est vrai ». Malheureusement, de nouveaux « collabos », ignorants de l’histoire riche et millénaire de l’Algérie, osent falsifier les faits. Au cœur du Maghreb et de l’Afrique du Nord, pont entre l’Europe et l’Afrique, l’Algérie est l’un des berceaux de l’humanité, comme l’attestent de nombreux archéologues, historiens et scientifiques, algériens et étrangers.
Aux origines de l’État algérien
Comme les faits sont têtus, l’Algérie existe en tant qu’État depuis au moins 2.500 ans. En 202 avant J.-C, le pays fut réunifié sous la bannière du Roi Massinissa, après sa victoire sur Syphax lors de la bataille de Zama, qui vit s’affronter les deux empires de la Méditerranée : Carthage et Rome. Chacun de ces deux empires avait été obligé de solliciter l’alliance de l’un des deux rois berbères. Les Romains choisirent Massinissa, qui disposait de la plus intrépide cavalerie d’Afrique du Nord. Vainqueur avec Rome, Massinissa fusionna les deux royaumes berbères et créa un nouvel État : la Numidie, avec pour capitale Cirta (Constantine, depuis l’an 303 de notre ère). La Numidie avait pour frontière à l’est l’Oued Mellègue (Tunisie actuelle) et à l’ouest le fleuve Moulouya ou Melouya (Maroc actuel), soit à peu près les frontières de l’Algérie actuelle ». [1] Ighlide (le maitre), le Roi numide, met en place un État. Durant 54 ans de règne, il a réussi à instaurer un système agricole efficace, à créer une monnaie à son effigie, à mettre les jalons d’une grande politique culturelle, à tisser des liens avec les puissances de l’époque. L’unité de l’État et la stabilité du royaume numide n’ont pas été ébranlées par les attaques de Rome, qui brûla puis s’empara de Carthage et de ses territoires. Après la mort de Massinissa, ses descendants n’ont pu sauvegarder la stabilité de ce grand territoire, que Rome convoitait pour ses richesses. Bien que Rome dominât le monde antique, le royaume numide résista jusqu’à l’assassinat du dernier Roi, en l’An 40 après Jésus-Christ. En prenant possession des territoires, les Romains imposent leur système, en divisant le pays en provinces avec des capitales (Numides, Lambes, Cirta, Sitifis et Cherchell). Il faut savoir que la domination romaine a été férocement combattue par des révolutions populaires ayant facilité l’entrée des Vandales au Ve siècle et des Byzantins au VIe. Le premier émirat à régner sur l’Algérie musulmane au cours des IIe et XIXe siècles après J. C. était celui des Rostomides, qui avaient pour capitale Tahert (Tiaret) et un mode de gouvernance, les Shura. À la fin du Xe siècle, l’État Ziride, de la tribu Sanhadja, régnait comme seul maitre du grand Maghreb, laissant à ses cousins Hammadides le Maghreb central, avec deux capitales, la Kalaâ (M’Sila) et Bedjaya (Bejaïa). Cette dernière a connu une fabuleuse et extraordinaire renaissance scientifique et intellectuelle de plus de six siècles. Cette période, qu’on a tendance à oublier, est l’autre âge d’or de la science, de la connaissance, de la culture et des arts du pays. Les Almohades, dynastie sunnite qui a dominé l’Algérie et l’Andalousie, avait fait de ses métropoles des centres de science et de culture et ses monnaies envahissaient le bassin méditerranéen. Du XIIIe au XVe siècle, la tribu Zenata, ayant fait de Tlemcen sa capitale, a donné naissance à une civilisation unique et intrinsèque. L’arrivée des Ottomans au début du XVIe siècle n’a pas impacté l’organisation sociopolitique de l’Algérie. « Dire que l’Algérie n’existe que depuis 1830 serait une gravissime offense à l’histoire », nous confie Dr Chadia Kherfallah, directrice du musée national de Sétif.
Quand l’histoire débusque les mensonges
La mise à sac des soubassements d’une nation liée à la France par 59 traités signés depuis 1579 [2] a bel et bien commencé en 1830. L’assertion est aussi bien étayée par des universitaires, des journalistes, des écrivains et des historiens français, que par les principaux maitres d’œuvre de la « mission civilisatrice ». L’historien Marcel Emérit, professeur à la faculté de lettres d’Alger, déconstruit, preuves à l’appui, la thèse communément admise sur les causes de l’expédition, à savoir la vengeance de l’insulte à la France, commise par le Dey d’Alger (le soufflet porté au consul Duval) et la volonté de mettre fin à la piraterie. En publiant son étude en 1954, il révélait que l’histoire algérienne de la France avait commencé par un énorme hold-up [3]. En publiant, l’Algérie à l’époque d’Abdelkader, Marcel Emerit va reprendre, accréditer et développer, en 1954, une phrase de Michaud, écrite 105 ans plus tôt : « Tout le monde sait que la conquête de ces trésors fut un des principaux motifs de l’expédition d’Alger, où il s’agissait beaucoup plus de s’emparer d’une aussi riche proie que de venger un coup d’éventail. » [4] Le but de l’expédition française était, d’une part, l’effacement de la dette envers la Régence d’Alger, qui lui avait vendu à crédit des cargaisons de blé et le pillage des richesses du pays, d’une autre. Les trésors de la Casbah ont renfloué les caisses de Charles X, renversé puis remplacé par Louis-Philipe, relancés une économie moribonde et bâtis les fortunes de plusieurs familles françaises. Le 17 Juillet 1830, le général de Bourmont écrivait au ministre : « L’inventaire du trésor est à peu près terminé. Une somme en or de 13.200.000 francs a été chargée sur le Marengo. Le Duquesne va porter en France 11.500.000 francs en monnaie du même métal. Tout le reste est en lingots ou en monnaie d’argent, dont la valeur est de 27.000.000 de francs environ. Ainsi, une somme de 52.000.000 francs aura été trouvée dans le trésor. » [5] Ces détails sont confirmés par l’excellent ouvrage, Main basse sur Alger, du journaliste Pierre Péan. Comme on le constate, la « mission civilisatrice » de la France commence par des pillages et des détournements. Affirmer le contraire serait une offense à la vérité et aux travaux de chercheurs ayant bâti leur argumentaire sur d’innombrables documents français, dont la note de Jean-Baptiste Flandin, (ex-rapporteur de la commission d’enquête de septembre 1830 sur les soustractions opérées sur les trésors d’Alger et le rapport du préfet de police Piétri sur les spoliations des trésors d’Alger du 15 juillet 1852) [6]
« Der algarische staat », la nation qui dérange les faussaires
Quand les atermoiements tournent aux duplicités et les amnésies aux mystifications, il n’est plus de recours que la vérité historique, aussi acerbe, aussi dégradante qu’elle puisse être. C’est le chemin emprunté par l’écrivain français Michel Habart. Dans son livre Histoire d’un parjure, publié en 1961 aux Éditions de Minuit, une année avant la fin de 132 années de colonisation, l’écrivain ose dévoiler et tourmenter la plaie. Battant en brèche d’innombrables thèses éculées, l’ouvrage, qui a suscité un long débat en France, où des historiens en ont signalé l’intérêt, tandis que d’autres faisaient grief à l’auteur d’avoir « brisé » des codes et des légendes, est un document historique de premier plan. Basé sur les témoignages d’historiens, de politiciens et de généraux qui ont conduit la conquête, l’Histoire d’un parjure donne le coup de grâce à un mensonge vieux de plus d’un siècle. La littérature se rapportant à l’histoire du pays est aussi abondante que convaincante. Et là, les propos de l’écrivain apportent une vérité cinglante : « En 1830, nier l’existence de la nation algérienne eût semblé absurde. L’idée n’en vint qu’avec les progrès de l’extermination : elle la justifiait. Et pour cela, on ira jusqu’au ridicule. Des historiens comme Augustin Bernard ou Esquer, pour nous prouver que l’Algérie n’était pas une nation, nous dirons qu’elle nous doit jusqu’à son nom. L’argument est spécieux et l’erreur est fâcheuse. En 1830, on disait la Régence comme on disait la Porte, ou le plus souvent le Royaume d’Alger, comme on disait le Royaume de Naples, de Tunis, de Mexico ou du Maroc. Et même le mot Algérie, s’il n’était pas courant, était loin d’être inconnu (voir les Mémoires d’Apponyi). Les termes « nation algérienne », « gouvernement algérien », « État algérien », étaient couramment employés en Allemagne, où l’Algérie se disait « der algarische staat ».
La nation algérienne et les pays anglo-saxons…
Sans remonter au début du XIVe siècle, qui vit le premier traité entre la France et le Roi Khaled, ou même aux traités de Louis XIV, entre « l’empereur de France et le Royaume d’Alger », pour « la paix et le commerce entre les deux royaumes », le très important traité de 1802 (1er nivôse, an X), reconnaissant que « l’état de guerre sans motif et contraire aux intérêts des deux peuples n’était pas naturel entre les deux États » et rétablissant avec « le gouvernement algérien » les relations « politiques et commerciales », fait mention de l’« Algérie » en sept lettres. Le traité fut confirmé en 1814 par Louis XVIII, pour « la paix entre les sujets respectifs des deux États ». Cette reconnaissance diplomatique de la nation algérienne par l’Angleterre, les États-Unis et autres, aussi bien que par la France, ne faisait que constater l’existence et l’unité d’un État qui connaissait ses actuelles frontières depuis des siècles. Sur ce point, les anciens voyageurs de la Régence, Poiret, Peysonnel, Shaw ou Laugier, sont tous d’accord : « Il n’en est pas pour voir que la Régence a eu alors moins de réalité que le Maroc ou la Tunisie, sinon qu’elle était la plus considérable des puissances barbaresques […]. L’Algérie existait dans ses frontières avant l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, la Norvège ou l’Irlande, pour ne parler que de l’Europe occidentale. »
Décryptage des mensonges mémoriels
En 1830, les Algériens n’étaient pas si illettrés qu’ont voulu le faire croire les idéologues de la colonisation. La désalphabétisation des Algériens a été l’autre objectif de la conquête. La preuve : l’alphabétisation des Algériens est passée de plus de 60 % en 1830 à 15 % en 1962[7]. Sur ce point précis, Habart confirme : « En 1830, tous les Algériens savaient lire, écrire et compter, et la plupart des vainqueurs, ajoute la commission de 1833, avaient moins d’instruction que les vaincus. » Les Algériens sont « beaucoup plus cultivés qu’on le croit », note Campbell en 1835. « À notre arrivée, il y avait plus de 100 écoles primaires à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen. Alger et Constantine avaient chacune six à sept collèges secondaires et l’Algérie était dotée de dix zaouïas (universités). Chaque village ou groupe de hameaux avait son école. Notre occupation leur porta un coup irréparable. Du moins, les avions-nous remplacées ? Monseigneur Dupuch nous répond en déplorant qu’en 1840, il n’ait trouvé que deux ou trois instituteurs pour toute la province d’Alger. En 1880, on ne trouvait encore que treize (je dis bien treize) écoles franco-arabes pour toute l’Algérie. Nous avons, dit notre grand orientaliste Georges Marçais, gaspillé l’héritage musulman à plaisir. » Bref, l’époque où « c’est toujours le vainqueur qui écrit l’histoire, défigure sa victime et fleurit sa tombe de mensonges », comme le disait Bertolt Brecht, est révolue. Ne dit-on pas qui ne dit rien consent ?
photo : Le tombeau de Massinissa
Kamel Beniaiche
Références bibliographiques
[1] et [2] Abdelkrim Badjadja – Historien et ancien directeur général des Archives nationales (Le Soir d’Algérie du 6 octobre 2021, p.5)
[3]Pierre Péan, Main basse sur Alger/enquête sur un pillage (p.19)
[4]Idem (p.255)
[5]Abdelkrim Badjadja (Le Soir d’Algérie du 6 octobre 2021, p.5)
[6]SHAT— service historique de l’armée de terre et Archives nationales BB 18/1353 – 1
[7] 1830-1962 – Quand la France occupait l’Algérie (L’Obs n° 2858 du 15 au 21 août 2019, p.27)
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