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Enseignant en psychologie scolaire à l’université de Sétif : Dr. Karrab appelle à une réconciliation entre élèves et école

Rencontré en marge d’une conférence dédiée à la refonte globale du système éducatif, organisée la semaine passée à Sétif, Abbas Karrab, docteur en psychologie scolaire qui a présenté à cette occasion un exposé dont le fil rouge portait sur la réconciliation de l’élève avec l’école, a bien voulu répondre à nos questions. Inspecteur de l’enseignement primaire et exerçant au département de psychologie de l’université Mohamed Lamine Debaghine (Sétif-2), il a disséqué la question de la réconciliation de l’apprenant avec l’école, devenue depuis quelques années un enjeu majeur dans le système éducatif algérien.

Quelles sont les raisons qui sous-tendent cette problématique ?

Dr Abbas Karrab : De nombreux facteurs, tels que l’évolution de la société, les nouvelles technologies ou encore les transformations des modes de vie, ont contribué à creuser une certaine distance entre les élèves et l’institution scolaire. L’apprenant se trouve dans un état de désengagement, une situation qui peut se développer et engendrer des conséquences graves comme la violence scolaire, la déperdition ou encore l’échec scolaire. Ce désengagement s’explique notamment par un modèle éducatif parfois perçu comme dépassé, voire obsolète. Les méthodes d’enseignement traditionnelles ne répondent pas toujours aux attentes et aux besoins des jeunes générations, qui évoluent dans un environnement numérique et interactif. Un autre aspect crucial est le manque de personnalisation. En effet, nos enfants scolarisés ont de plus en plus besoin de sentir que l’école prend en compte leurs spécificités et leurs aspirations individuelles. Nos élèves ont de plus en plus besoin de sentir que l’école prend en compte leurs spécificités et leurs aspirations individuelles.

Quels sont, selon vous, les principaux éléments en cause ?

Il est indéniable qu’une forte pression sociale et académique pèse sur les élèves. Les compétitions, les évaluations continues et les attentes souvent élevées génèrent un stress important, ce qui explique le désintérêt croissant de nombreux élèves. À cela s’ajoute un sentiment de déconnexion avec le monde réel, beaucoup d’entre eux ayant du mal à percevoir l’utilité des connaissances qu’ils acquièrent à l’école pour leur avenir. Il y a aussi les facteurs socio-économiques, dont les inégalités sociales, le manque de ressources et des conditions de vie difficiles qui pèsent lourdement sur la motivation et les performances scolaires. Par ailleurs, la croissance démographique rapide a accentué les problèmes : des classes surchargées, un manque de matériel pédagogique et des programmes parfois jugés déconnectés des réalités des apprenants sont autant d’éléments qui favorisent la démotivation. Enfin, le soutien familial, les attentes parentales et les pratiques éducatives à la maison jouent un rôle crucial dans la réussite scolaire.

Comment décririez-vous la qualité du système éducatif algérien ?

Rigide ! Les examens nationaux très sélectifs instaurent un climat d’angoisse et de stress. De plus, les facteurs psychologiques, telles que les difficultés d’apprentissage, les troubles du comportement ou encore des problèmes de santé s’ils sont mal diagnostiqués, pourraient constituuer des obstacles à la réussite scolaire. En outre, le manque de compétences émotionnelles chez les enseignants en raison d’une formation ne répondant pas toujours aux exigences rend la gestion de la classe difficile et peut entraîner des conflits.

Quelles sont les conséquences du désengagement scolaire ?

Nous constatons depuis plusieurs années des difficultés en matière d’insertion professionnelle. Les jeunes qui abandonnent l’école peinent davantage à trouver un emploi et à s’intégrer dans la vie active. Cette situation mène souvent à l’exclusion sociale et au décrochage, lesquels peuvent aboutir à un isolement et une marginalisation. Il faut aussi évoquer l’impact sur la santé mentale. Le stress lié à l’échec scolaire peut avoir des répercussions graves, tant sur le bien-être psychologique que sur la santé physique des jeunes.

Quelles sont les solutions possibles pour y remédier ?

Pour contrer ce phénomène, il est crucial de renforcer la personnalisation de l’apprentissage en recourant à la pédagogie différenciée et en adaptant les méthodes d’enseignement aux différents profils d’apprenants. Proposer des parcours individualisés, alignés sur les intérêts et les projets de chaque élève, peut également représenter une solution efficace. En outre, il faut prévoir des évaluations formatives plutôt que sommatives, en favorisant une approche continue et constructive permettant à l’élève de progresser à son propre rythme. Sous d’autres cieux, les pédagogues mettent l’accent sur l’engagement et la motivation par le biais de projets collaboratifs qui permettent aux élèves de travailler ensemble, développant ainsi leur esprit d’initiative. Pour encourager la réflexion critique et l’autonomie, il serait judicieux d’adopter des approches d’apprentissage basées sur la résolution de problèmes.

Peut-on envisager d’autres pistes en lien avec l’évolution des technologies de l’information et de la communication ainsi que l’Intelligence Artificielle ?

Absolument ! L’intégration des outils numériques dans les pratiques pédagogiques afin de rendre les apprentissages plus ludiques et interactifs est fortement recommandée. Par ailleurs, il est crucial de créer un climat scolaire positif en développant une nouvelle une approche de la relation élève-enseignant, fondée sur la confiance et le respect mutuel. En marge des activités académiques, il serait également pertinent de proposer des activités extrascolaires et périscolaires variées pour favoriser le bien-être et renforcer la cohésion sociale. Pour établir des liens solides entre l’école et le monde professionnel, il est souhaitable d’organiser des visites d’entreprises, des stages ou des rencontres avec des professionnels. Dans le domaine de la citoyenneté, il est du rôle de l’école de sensibiliser les élèves aux grands enjeux de société et les encourager de s’y engager.

Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever ?

Tout commence par une formation solide des enseignants. Il est crucial de les former aux nouvelles pédagogies, aux outils numériques, ainsi qu’à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Je parle ici de la formation initiale, qui ne peut plus être négligée, et à la formation continue, qui doit être diversifiée, tout en dotant les inspecteurs de moyens adaptés et de les former selon une approche renouvelée. Ceci est réalisable si l’on met le paquet, car de bonnes ressources financières permettent d’avoir de bons formateurs. Les inégalités sociales sont un autre front auquel il faut s’intéresser en mettant en place des dispositifs de soutien scolaire pour les élèves en difficulté. Cela inclut la prévention du décrochage scolaire en identifiant les élèves à risque dès le plus jeune âge et en leur proposant des mesures d’accompagnement adaptées. Ceci passe par la réduction de la taille des classes et la fourniture de matériel pédagogique de qualité. Enfin, renforcer le lien entre l’école et la famille est tout aussi essentiel. Cela peut se faire à travers des actions de médiation scolaire et des réunions d’information pour les parents. En somme, la réconciliation de l’apprenant avec l’école est un véritable enjeu de société qui appelle à une approche globale, entre enseignants, élèves, parents, institutions, décideurs politiques et responsables.

Faouzi Senoussaoui

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