Acteur incontournable à l’université de Sétif-1 (UFAS), où la recherche scientifique a franchi un cap et acquis une dimension économique, le Pr Mohamed Hamidouche, vice-recteur chargé de la recherche et de la formation doctorale, est profondément investi dans les projets innovants et les partenariats avec les secteurs économiques, tant nationaux qu’internationaux. L’universitaire a aimablement accepté de révéler à L’Est Républicain une facette méconnue de cette prestigieuse institution, héritière du grand érudit Ferhat Abbas.
L’Est Républicain : L’UFAS a terminé l’année en apothéose sur le volet recherche…
Pr Mohamed Hamidouche : Effectivement, avec une production scientifique de 775 articles durant l’année 2024, l’UFAS a non seulement battu son propre record de l’année 2022 (660 articles) mais grimpé une autre marche sur le podium pour occuper la deuxième place au niveau national. Cette performance n’est pas fortuite, sachant que depuis pratiquement cinq ans, elle est dans le trio de tête des universités algériennes en matière de production scientifique publiée par des revues indexées dans la base de données « Scopus ». Je précise que chaque publication internationale de l’UFAS est citée en moyenne plus de onze fois, ce qui la place à la tête des universités algérienne. En utilisant un autre indicateur reconnu (FWCI), caractérisant aussi la qualité d’une production scientifique, l’UFAS, avec 1,6 (60 % au-dessus de la moyenne mondiale), est première dans le pays. Il faut noter que depuis sa création en 1978 jusqu’au 31 décembre 2024, la production scientifique totale se chiffre à quelque 7.700 articles selon « Scopus ». 52% des publications (ingénierie, sciences des matériaux, physique, informatique) sont en collaborations avec des laboratoires internationaux. Ce qui dénote la qualité des travaux de la communauté scientifique.
Qu’en est-il de son classement à l’échelle internationale ?
Que ce soit le « Times Higher Education World University Rankings » (THE), « QS University Ranking », ou « US-News Global University Ranking » et autres, l’UFAS s’enorgueillit d’occuper l’une des deux premières places locales en partage avec l’université de Sidi Belabes. Il faut savoir que ces classements utilisent trois catégories d’indicateurs : données statistiques, production académiques et enquêtes de réputation. Aussi, en 2024, l’UFAS a intégré les deux classements basés sur l’appropriation des 17 objectifs du développement durable (Times Higher Education – impact et le QS – Sustainability) et occupe la première place dans cette catégorie. L’année dernière a aussi apporté un nouveau lot de satisfaction sur le plan de la recherche scientifique. En effet, l’UFAS a raflé quatre prix lors du Salon national des produits de recherche, du développement technologique et de l’innovation, organisé par la direction générale de la Recherche scientifique et du Développement technologique qui s’est tenu les 2 et 3 juin 2024 à Alger. Cette belle moisson de distinctions représente pratiquement le tiers des prix décernés lors de cet important événement. Ces distinctions sont une juste récompense des efforts déployés par les chercheurs et une confirmation du rang enviable qu’occupe l’université Sétif-1 sur la scène nationale.
Abir Boublia représente un cas exceptionnel, non ?
Abir Boublia est une jeune doctoresse qui n’a pas encore bouclé ses 26 ans et qui a soutenu sa thèse de doctorat en mai 2024, avec une trentaine de publications dont la majorité a été publiée dans des revues internationales de catégorie A+ et A. Spécialiste en génie chimique, elle a effectué un parcours parfait (bac en 2015, licence en 2018, master en 2020 et doctorat en 2024. Le jeune prodige comptabilise 53 publications internationales répertoriées dans la base de données « Scopus ». Cette production abondante a été réalisée en l’espace de trois ans entre 2022 et 2024 lors de sa formation doctorale. Malgré son jeune âge, elle se classe dans les quarante premiers chercheurs de l’UFAS ayant publié le plus d’articles internationaux depuis sa création. La majorité de sa production scientifique (94,5 %) est le résultat de la collaboration internationale, 161 co-auteurs nationaux et internationaux y ont contribué. Cette coopération intense lui confère déjà une bonne visibilité internationale (plus de 1.000 citations). Elle possède un indice « H=22 ». Plus des quatre cinquièmes de ses articles ont été publiés dans les 25 % meilleures revues mondiales dans le domaine. Avec une production scientifique aussi riche quantitativement et qualitativement, la jeune doctoresse est promue à un bel avenir académique, plus particulièrement dans le domaine de la recherche scientifique. Nous lui souhaitons plein succès dans sa carrière professionnelle. Gageons que l’université algérienne puisse la retenir car elle est déjà sur les radars des laboratoires étrangers. Répondra-t-elle aux chants des sirènes ?
En 2024, l’UFAS a perdu la première place du classement THE
Nous rappelons que THE est l’un des classements référentiels les plus importants qui prend en considération les différentes missions et activités des universités. Pour qu’un établissement puisse l’intégrer, il faut assurer un minimum de conditions requises telles qu’avoir publié 1.000 publications internationales durant les cinq dernières années. Par rapport à votre question, nous avons identifié les points forts et les points faibles d’une dizaine d’universités algériennes que nous suivons régulièrement, nous seulement pour le THE, mais aussi pour d’autres classements. Dans ma réponse, je me limite à mon établissement. Tout en consolidant les forces de l’UFAS qui sont nombreuses, nous travaillons pour l’amélioration des faiblesses identifiées. Essentiellement, elles résident dans les points suivants : le peu de visibilité dont elle souffre, son ouverture vers l’international qui reste insuffisante et le faible taux d’encadrement, certains enseignants chercheurs publiant encore dans des revues non indexées et dans des langues autres que l’anglais.
Un mot sur mes projets brevetés et leur application sur le terrain ?
Nous avons organisé une série de workshops au sein des facultés/instituts et de l’incubateur qui ont porté sur les thématiques de l’innovation et des brevets, telles que la propriété intellectuelle, la recherche d’antériorité, les concepts inventifs et la rédaction des brevets. Cette démarche a porté ses fruits puisque en l’espace des deux années 2023 et 2024, pas moins de 36 brevets ont été enregistrés à l’INAPI. A titre d’exemple, nous citons trois brevets déposés par des étudiants porteurs de projets innovants et qui ont déjà suscité l’intérêt de partenaires industriels. Le premier est celui de fil antibactérien, un produit développé à partir de souches bactériennes et qui a attiré l’attention d’un investisseur privé accompagnant désormais le porteur du projet pour sa concrétisation sur le terrain. Le deuxième est le projet « Gas & Oil », portant sur la production de biocarburant à partir d’huiles lourdes usagées et de matériaux extraits de ressources naturelles disponibles localement. Il a retenu l’intérêt de la direction centrale de la recherche et développement de Sonatrach. Il est actuellement en phase de concrétisation. Le troisième est un médicament vétérinaire : le livrable est axé sur le traitement de la grippe aphteuse à base de plantes. Après avoir obtenu le label de projet innovant, le porteur du projet a établi des contacts avec une entreprise activant dans le domaine, localisée à Béjaïa. Les négociations sont en cours entre l’étudiante, l’UFAS et le chef de l’entreprise pour finaliser le partenariat. Ces exemples illustrent notre engagement à soutenir l’innovation et faciliter le transfert de technologies vers le secteur socio-économique.
La Covid-19 a rapproché l’UFAS du secteur économique. Pouvez-vous nous parler des collaborations avec Sekceram, Sonatrach et d’autres partenaires ?
Nous rappelons que dès l’apparition de la pandémie en Algérie début 2020, l’UFAS en tant qu’établissement citoyen a assumé sa responsabilité sociétale. Elle a mis en place un plan d’action adapté à cette conjoncture de crise sanitaire. Elle a pris l’initiative de coupler ses deux missions de recherche scientifique et de responsabilité sociétale afin de contribuer à l’effort national dans la lutte contre la Covid-19. A l’époque, l’apport de l’UFAS a été basé sur quatre étapes chronologiques complémentaires. Dans un premier temps, elle a orienté son effort vers la production de moyens de protection contre la propagation du Coronavirus. Plus de 35.000 flacons de gel hydro-alcoolique et plus de 20.000 visières ont été fabriqués et distribués aux différents hôpitaux et organismes. Dans un second temps, deux solutions de diagnostic par le traitement d’images radiographiques et l’analyse du son ont été brevetées. Des chercheurs de l’UFAS ont utilisé l’Intelligence Artificielle pour la gestion de la sortie du confinement à travers l’édition de certificats électroniques, le suivi des déplacements en surveillant le port du masque et la distanciation. L’apport de l’UFAS dans les solutions de traitement des patients atteints ont été de deux types. Le premier réside dans l’extraction de trois molécules biologiques actives dont la quercitrine à partir des déchets d’oignons. Le second concerne la conception et la fabrication d’un appareil d’aide d’urgence à la respiration artificielle. Nous rappelons aussi qu’à cette période-là, il y a eu la combinaison de la crise sanitaire avec les conséquences de la crise économique ayant prévalu quelques années auparavant. Beaucoup d’entreprises socioéconomiques ont été touchées par les effets de cette conjoncture. C’est à ce moment que certaines unités industrielles se sont tournées vers l’université pour les accompagner. A titre d’exemple, nous citons le cas de Sekceram, qui a souffert non seulement des crises économique et sanitaire mais aussi d’un troisième problème qui est les mauvaises relations avec l’Espagne d’où cette entreprise importait ses matières premières. Le rapprochement de Sekceram avec les spécialistes de l’université n’a pas tardé à donner ses fruits. Au bout de six mois de collaboration, elle a réussi non seulement à remplacer beaucoup d’intrants importés d’Espagne mais aussi à exporter une partie de sa production. Un autre exemple dont peut s’enorgueillir l’UFAS est d’avoir collaboré avec un organisme de souveraineté pour développer un matériau résistant aux chocs (anti-projectiles) à partir d’une matière première disponible localement. Les résultats des tests ont été très concluants. Ces types d’activités sont des prestations de services, c’est-à-dire une collaboration gagnant-gagnant. Par conséquent, il s’agit d’une opportunité pour diversifier les sources de financement de l’université.
Quelle est l’importance du partenariat dans votre stratégie de recherche ?
L’ouverture de l’UFAS vers l’international lui permettra une meilleure visibilité et réputation qui lui assureront une attractivité. Nous citons le cas du projet de coopération initié avec un groupe industriel chinois. Contrairement à la coopération avec des universités européennes qui est purement académique (l’INSA de Lyon est le meilleur exemple), celle avec la chine est d’ordre « recherche & développement ». En effet, le groupe « CNBM », entreprise publique chinoise, a choisi l’UFAS pour mettre sur pied un laboratoire mixte d’envergure internationale spécialisé dans les matériaux de construction à faible empreinte carbone. Cette coopération s’effectuera à travers sa filiale algérienne « CBMI » et sa filiale académique (centre de recherche basé à Pékin). Une convention cadre de partenariat a été signée entre les parties. Le choix de Sétif et de son université n’est pas fortuit. La dynamique socioéconomique de la région combinée aux performances de l’UFAS dans le domaine des matériaux en sont pour quelque chose. En un mot, l’UFAS joue un rôle clé dans le partenariat économique national et international.
Kamel Beniaiche
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