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Environ 3.000 interventions dans le privé en 2024 : Pourquoi ce recours systématique à la césarienne à Souk-Ahras ?

Pour les médecins spécialisés, le recours à la césarienne n’est pas systématique mais il est de manière générale dicté par une urgence ou des complications qui peuvent mettre en danger la vie des parturientes ou de leur enfant. Sujet sensible, s’il en est, l’accouchement par césarienne n’est abordé que du bout des lèvres par les obstétriciens, autant en milieu hospitalier que dans les cliniques privées de Souk-Ahras. L’accès aux statistiques, seuls référents à même d’en évaluer le nombre même approximatif par rapport à celui global des naissances, est quasiment impossible pour toute personne étrangère au secteur. Cette frilosité des personnels médicaux et paramédicaux par rapport à ce sujet sensible ne fait, à contrario, que renforcer la suspicion de celles et ceux qui sont tentés de croire aux rumeurs faisant état du recours systématique et donc abusif à ce type d’intervention. Ces « étrangers au secteur » expliquent, sans pouvoir toutefois le prouver, que les accouchements par césarienne permettent aux cliniques de gagner plus « facilement » de l’argent (entre 80.000 et 100.000 dinars l’intervention) et aux établissements hospitaliers de « libérer » plus rapidement les lits de leurs services de maternité respectifs. Pour en savoir plus, nous nous sommes rapprochés du docteur A., qui a choisi de s’exprimer sous le sceau de l’anonymat. Notre interlocuteur s’est d’emblée voulu rassurant en déclarant que la majeure partie des patientes qui ont choisi son établissement pour y accoucher l’ont fait par souci de confort, la clinique étant dotée de moyens matériels et humains parfaitement adaptés pour une délivrance normale ou avec péridurale (sans douleurs). Selon ce praticien, il y a effectivement de plus en plus d’accouchements pour lesquels le recours à une césarienne s’avère inévitable parce que le pronostic fœtal ou maternel indique une grossesse dangereuse.

« Un bilan inquiétant »

Il évoque le nombre élevé de cas où il y a disproportion entre le bassin de la maman et la taille de l’enfant, des présentations de siège qui peuvent entraîner trop de complications pour un accouchement par voie basse ou encore dans l’occurrence d’un enfant prématuré. Autant de cas, toujours selon ce spécialiste, qui pourraient coûter la vie à la future maman ou à son bébé, sans parler des traumatismes postnataux encourus par les deux, si on tente un accouchement par les voies naturelles. L’obstétricien nous affirme sans ciller que bon nombre de ses patientes sollicitent elles-mêmes un accouchement par césarienne ces derniers temps. Le docteur A. se montrera néanmoins plus réservé pour nous dire à combien il estimerait le taux des naissances par césarienne. C’est sans conviction, qu’il se hasardera à avancer un taux situé entre 25 et 30 %. Et de souligner que ces opérations chirurgicales ont un coût, les frais relatifs à la grossesse, à l’accouchement et à ses suites sont remboursés au taux de 100 % des tarifs fixés par voie réglementaire. « Il faut savoir que la CNAS (Caisse Nationale des Assurances Sociales, NDLR) a signé une convention en 2020 avec nombre d’établissements de santé privés disposant d’un service de maternité pour l’amélioration des conditions d’accouchement dans le cadre de la contractualisation. Un dispositif qui permet à l’assuré social d’accéder à des prestations en matière de soins sans payer d’honoraires, grâce au système du tiers payant », révèle-t-il, mais en regrettant les abus qui sont constatés. « En 2024, la caisse d’assurance de Souk-Ahras a pris en charge et remboursé près de 3.000 prestations de ce genre confiées aux cliniques privées locales. Un chiffre qui risque d’être égalé, sinon dépassé, cette année, puisque 757 accouchements par césarienne ont été effectués entre janvier et mars 2025. Un bilan pour le moins inquiétant aux plans sanitaire et financier », s’alarme notre source.

Un chiffre qui tend à l’abus

L’appréhension du problème est tout autre à l’hôpital mère-enfant Khadidja Benbennour de la ville chef-lieu, qui abrite le service de maternité-obstétrique le plus sollicité de la région et qui reçoit quotidiennement les urgences des 26 communes que compte la wilaya. Il est aisé de constater, en effet, que les personnels médical et paramédical sont littéralement débordés par le nombre de femmes enceintes et il semble difficile, voire impossible de faire dans le détail, même si on nous assure que le service est parfaitement outillé et encadré pour pallier toutes les situations. Là, pourtant, certains acceptent d’évoquer le problème des naissances par césarienne, sans préjugés et sans passion. Des médecins, qui ont requis l’anonymat, ne cachent pas leur inquiétude devant l’ampleur du phénomène. Ils estiment qu’en moyenne, une femme sur trois présente à son arrivée une grossesse pathologique et que le nombre de cas pour lesquels une opération urgente est nécessaire est important. Généralement, il s’agit de femmes trop fatiguées ou souffrant d’hémorragie, si ce n’est d’affections cardio-vasculaires, incapables de poursuivre le travail d’accouchement à terme sans mettre en danger la vie de leur enfant. Ceci s’expliquerait par une mauvaise prise en charge des patientes dans les communes ou les mechtas isolées dont elles viennent souvent dans l’urgence et sans le moindre dossier de suivi. Ces médecins admettent que le recours à la césarienne en milieu hospitalier public tend à l’abus, là également, avec 2.620 interventions de ce type en 2024 et 607 durant le premier trimestre de 2025, à la demande expresse des femmes accouchées dans la majorité des cas, précise-t-on. « Même si l’on constate que le taux de mortalité périnatale a sensiblement diminué parallèlement, il faut relever que le taux actuel, qui est de près de 25 %, représente en fait le double de celui enregistré il y a dix ans », s’inquiète l’un d’entre eux. Pour lui, les progrès considérables enregistrés par la médecine chirurgicale et la détection à temps des souffrances fœtales expliqueraient l’augmentation du nombre de césariennes, mais il ne considère pas, pour sa part, que le recours à ce type d’opération soit normal. Il préconise, quant à lui, qu’il y ait une continuité des soins par la mise en place de programmes de formation à l’intention des différents services obstétriques et une répartition harmonieuse des personnels qualifiés des établissements hospitaliers de la région. 

Ahmed Allia 

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