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Colloque sur les crimes de la France coloniale en Afrique : Appel à la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945

Nous, universitaires, écrivains et historiens venus de différents pays du monde, Algérie, Cameroun, États-Unis d’Amérique, France, Royaume-Uni, Madagascar et Sénégal, enseignants et étudiants de l’Université de Béjaïa, en Algérie, qui avons participé au colloque international sur les crimes de la France coloniale en Afrique organisé les 11 et 12 mai 2025 à l’occasion des 80 ans des massacres de masse commis par la colonisation française à Sétif, Guelma, Kherrata et dans toute la région du Nord-Constantinois en mai-juin 1945, lançons en direction des citoyens de nos pays et de ceux du monde entier un appel solennel dicté par le sentiment d’horreur et d’indignation que nous inspirent ces faits ainsi que leur reconnaissance insuffisante par l’État français qui en a eu la responsabilité. Mai-juin 1945 en Algérie se situe dans une série de massacres qui ont pris place dans une tentative française de reconstituer son empire colonial en contradiction avec le mouvement mondial des peuples à affirmer leur droit à disposer d’eux-mêmes. Il a été précédé du massacre de Thiaroye, près de Dakar, en décembre 1944, suivi par le bombardement de Haïphong, au Viêt Nam, au début de la guerre d’Indochine en novembre 1946, et par les massacres de Madagascar en 1947. Lors de toutes ces répressions, des « indigènes » recrutés dans d’autres colonies ont été utilisés pour réprimer les aspirations des peuples à l’indépendance. Les choses bougent au sujet de cet « autre 8 mai 1945 » qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était en contradiction complète avec la victoire simultanée des peuples et des États alliés sur l’horreur et les crimes racistes commis par le régime nazi. Le président de la République française, Emmanuel Macron, dans le discours qu’il a prononcé à Paris le 8 mai 2025 au pied de l’Arc de Triomphe, a évoqué le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et fait explicitement référence à cette page de l’histoire coloniale : « En mai 1945, des violences et des massacres venaient préfigurer l’histoire. Sétif, Béjaïa, la région de Kherrata, Guelma en Algérie, en Syrie aussi. » Mais il reste beaucoup de chemin à faire puisqu’il a parlé de violences et de massacres sans reconnaître la responsabilité de l’État français dans sa politique coloniale qui y a conduit. Le président de la République algérienne, Abdelmadjid Tebboune, a déclaré de son côté : « Les manifestations du 8 mai sont l’expression la plus sincère de l’attachement du peuple algérien à la liberté, la dignité et la fierté […] Mue par son attachement au droit de son peuple et en reconnaissance de la sacralité de l’héritage de la résistance et de la lutte, par fidélité à l’esprit de Novembre et au message éternel des martyrs, l’Algérie ne saurait en aucun cas accepter que le dossier de la mémoire soit relégué à l’oubli et au déni. » Par ailleurs, une délégation de parlementaires et d’élus de France issus de différents courants politiques est venue en Algérie pour témoigner de leur volonté de bonnes relations entre la France et l’Algérie ; de leur refus de l’hostilité à ce pays de la part de la politique incarnée par le ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau ; de leur intention de travailler au dépassement de la période coloniale, à l’élimination des séquelles laissées dans les esprits par cette période qui a nié les droits, l’égalité et la dignité de tous les êtres humains ; et de leur volonté d’une coopération entre les peuples pour aujourd’hui et pour demain, en particulier pour ceux des deux rives de la Méditerranée. Ils ont demandé une reconnaissance officielle des responsabilités françaises dans ce crime. Un sénateur français membre de la délégation a rappelé : « Ces Algériens ont été tués parce qu’ils ont revendiqué pour eux ce qu’ils ont défendu pour d’autres. Nous sommes aujourd’hui en Algérie pour parler de dignité humaine. » La France, dont le passé comporte de belles pages mais aussi des pages plus sombres, doit assumer la totalité de son histoire. Notre appel de Béjaïa demande solennellement l’ouverture totale des archives relatives à cette période. Parallèlement à cette reconnaissance des crimes coloniaux, des actes de réparation sont nécessaires, notamment pour la restitution des restes humains, des objets et des œuvres d’art dont les colonisateurs se sont emparés par la force.
Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour faciliter aux chercheurs venant des pays anciennement colonisés les travaux dans les archives françaises. La coopération franche entre les historiens de tous les pays doit être développée. Nous sommes convaincus que la reconnaissance des faits est un impératif moral et nous continuerons à travailler dans ce sens.

Béjaïa, le 12 mai 2025.

Gilles Manceron (France)

Alain Ruscio (France)

Marie Ranjanouro (Madagascar)

Hosni Kitouni (Algérie)

Benjamin Claude Brower (USA)

William Gallois (Royaume-Uni)

Aïssa Kadri (Algérie)

Cheikh Sakho (Sénégal)

Kamel Beniaiche (Algérie)

Ferdinand Marcial Nana (Cameroun)

Zidine Kacini (Algérie)

Mahmoud Aït Meddour (Algérie)

Settar Ouatmani (Algérie)

Nouredine Zerkaoui (Algérie)

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