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Prévention du cancer de la peau : Des chercheurs d’Annaba ouvrent une piste inédite

Chaque été, le soleil brille sur nos plages, nos terrasses, nos campagnes. Mais ce cadeau de la nature peut parfois se transformer en menace silencieuse. Aujourd’hui, les cas de cancer de la peau sont en hausse à travers le monde, et l’Algérie n’est pas épargnée.

Parmi les grands ennemis silencieux de notre peau, on retrouve bien sûr les rayons ultraviolets (UV), connus pour provoquer des mutations cellulaires lorsqu’on s’y expose sans protection. Mais un autre danger, souvent ignoré, guette surtout en milieu urbain ou industriel : la pollution atmosphérique. Certaines substances issues des industries métallurgiques, des produits pétroliers, comme les huiles de moteurs usagées, des plastiques, des pesticides, des incendies forestiers ou encore de la fumée de cigarette, contiennent des benzopyrènes, des xénobiotiques (substances chimiques étrangères à l’organisme, qui y pénètrent par des voies externes) hautement toxiques et potentiellement cancérigènes. Ceux-ci peuvent pénétrer dans l’organisme soit par contact direct avec la peau, soit par inhalation, notamment lorsqu’ils sont chauffés à haute température et libérés sous forme de fumées. Une fois dans l’organisme, les benzopyrènes ne sont pas immédiatement nocifs : ils subissent une transformation dans le foie. Ce processus aboutit à la formation de composés très réactifs capables de se fixer à l’ADN des cellules, formant ce qu’on appelle des adduits d’ADN (des sortes de petits “accrocs” ou “plaques” sur le matériel génétique). Ces adduits perturbent le fonctionnement normal de l’ADN et peuvent entraîner des mutations cellulaires. Les personnes travaillant dans le goudronnage, l’entretien routier, l’automobile, les raffineries métallurgiques, ou encore les agriculteurs utilisant des pesticides, en particulier sans équipement de protection adapté, sont donc particulièrement exposées aux benzopyrènes. Ces substances dangereuses peuvent imprégner la peau et, à long terme, favoriser l’apparition de lésions précancéreuses. Selon une estimation conjointe de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), près d’un décès sur trois par cancer de la peau non mélanome est dû à une exposition professionnelle et aux UV. Tout cela fait du cancer de la peau un sujet de choix touchant la santé publique dont il faut étudier les risques et prévenir l’apparition.  Si les campagnes de prévention insistent, à juste titre, sur l’importance de la crème solaire et des gestes protecteurs contre les UV, qu’en est-il des autres facteurs de risque, dont on parle peu, mais qui sont pourtant bien réels ? Face à ces menaces invisibles, que faire au-delà des mesures de protection classiques ?

Et si l’on optait pour des molécules naturelles ?

Une autre voie, plus discrète mais tout aussi prometteuse, commence à se dessiner : celle de la biothérapie naturelle. À travers le monde, plusieurs équipes de recherche empruntent cette voie, explorant activement les biothérapies naturelles comme stratégies préventives contre le cancer, avec l’espoir d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la lutte contre les effets délétères des agressions environnementales. Dans cet article, je vous propose de voyager entre science et nature pour mieux comprendre ce fléau qu’est le cancer de la peau, les menaces invisibles du quotidien, et les pistes naturelles pour mieux s’en prémunir. Il existe trois grandes catégories de cancers de la peau : les carcinomes (les plus fréquents, avec un bon pronostic lorsqu’ils sont diagnostiqués à temps), les mélanomes (plus rares, mais plus agressifs) et, plus rarement, les sarcomes cutanés. Ces différences viennent du type de cellules touchées : les carcinomes naissent dans l’épiderme, la couche la plus superficielle de la peau ; les mélanomes prennent naissance dans les mélanocytes, cellules responsables de la couleur de la peau ; quant aux sarcomes, ils se développent dans le derme, la couche intermédiaire plus profonde. Il est impératif de savoir qu’un diagnostic précoce a un effet déterminant sur le pronostic vital du patient. C’est pourquoi il faut rester vigilant face aux signes d’alerte, tels que la modification de l’aspect d’un grain de beauté (taille, contour ou couleur), l’apparition de taches suspectes, ou encore des lésions qui ne cicatrisent pas. Il est bien connu que des éléments individuels, tels qu’une peau claire ou des antécédents familiaux de cancer, augmentent le risque de développer un cancer cutané. Par ailleurs, il est aujourd’hui admis que les facteurs environnementaux jouent également un rôle important dans l’apparition et le développement de ces cancers. Face aux agressions environnementales, notre corps possède une arme précieuse : le système immunitaire. Encore faut-il qu’il soit en pleine forme pour repérer et éliminer les cellules endommagées avant qu’elles ne dégénèrent. C’est ici que certains composés naturels peuvent jouer un rôle clé. Des études récentes menées par notre équipe de recherche au Laboratoire de Biochimie et Toxicologie Environnementale de l’Université Badji Mokhtar d’Annaba (UBMA) ont démontré les effets préventifs de certaines biothérapies contre une cancérogenèse cutanée expérimentale, induite par un agent cancérigène de type benzopyrène. Nous avons testé plusieurs produits naturels, et dans cet article, nous partageons les effets les plus marquants que nous avons observés.

Des alliés insoupçonnés

Nos travaux de recherche sur un complément alimentaire à base de champignons médicinaux, formulé sous forme de gélules et associant trois espèces reconnues pour leurs propriétés immunostimulantes – le Reishi (Ganoderma lucidum), le Maitake (Grifola frondosa) et le Shiitake (Lentinula edodes) – ont été publiés dans la revue scientifique The Gulf Journal of Oncology. L’étude, menée par Mohammed Abdellaoui et Assia Kadi, intitulée « Oral Intake of Combined Natural Immunostimulants Suppresses the 7,12-DMBA/Croton Oil Induced Two- step Skin Carcinogenesis in Swiss Albino Mice », a mis en évidence un effet bénéfique sur la stimulation des défenses naturelles. Ce mélange fongique semble activer certaines cellules immunitaires clés, capables de détecter et d’éliminer les cellules précancéreuses. Ces champignons nous proviennent de la médecine traditionnelle chinoise, et doivent leurs vertus à leur richesse en composés actifs tels que les bêta-glucanes, les polysaccharides, ou encore le lentinane. Le Reishi, surnommé « champignon de l’immortalité », est traditionnellement utilisé pour renforcer l’énergie vitale et calmer l’esprit. Le Maitake, très populaire au Japon, est apprécié pour sa capacité à stimuler le système immunitaire. Quant au Shiitake, il est couramment consommé pour renforcer les défenses naturelles et améliorer la circulation sanguine. Combinés, ces champignons offrent un soutien naturel prometteur qui, sans effets secondaires notables, pourrait renforcer la vigilance de l’organisme face aux agressions environnementales. Au-delà des immunostimulants fongiques, d’autres composés naturels ont également retenu notre attention. Dans une autre piste biothérapeutique, nous avons publié une étude sur les effets préventifs des acides gras oméga-3, présents dans l’huile de poisson, contre le cancer de la peau. Ce travail, mené par Hayeme Chenit et Assia Kadi, a été publié dans la revue scientifique Molecular Nutrition and Food Research sous le titre : « Fish Oil’s Preventive Effect on Two- Stage Skin Carcinogenesis in Swiss Albino Mice: Involvement of NF-κB Pathways and Oxidative Stress in a Dose- and Route-Dependent Manner ». L’huile de poisson, extraite de la sardine, du maquereau, du hareng ou du saumon, constitue une source particulièrement riche en oméga-3, déjà bien connus pour leur rôle dans la santé cardiovasculaire et cérébrale. Ces acides gras sont également réputés pour leurs effets anti-inflammatoires et antioxydants. Notre étude a montré que l’huile de poisson offrait une protection significative contre la cancérogenèse cutanée, aussi bien par prise orale quotidienne que par application cutanée, en activant la voie de l’apoptose, un mécanisme naturel d’autodestruction des cellules anormales, et en réduisant le stress oxydatif. Ce dernier est un phénomène clé dans l’apparition du cancer, provoqué par l’accumulation de radicaux libres dans les tissus, susceptibles d’induire des mutations génétiques à l’origine de la cancérogenèse.

Un rôle clé dans la réduction du risque

Ces deux biothérapies naturelles les champignons médicinaux et les oméga-3 se complètent. Elles offrent des pistes intéressantes pour une approche intégrée de la prévention du cancer de la peau. Cependant, si ces résultats expérimentaux sont prometteurs, ils doivent à présent être confirmés par des recherches cliniques chez l’humain, afin d’ouvrir la voie à de nouvelles stratégies naturelles de prévention du cancer de la peau. Toutefois, il est important de souligner qu’elles ne constituent ni un traitement, ni une solution miracle. Comme le dit le proverbe : mieux vaut prévenir que guérir ! Ainsi, pour mieux se protéger contre le cancer de la peau, il est certes important de se prémunir efficacement contre les rayons solaires : éviter l’exposition pendant les heures les plus chaudes de la journée, et appliquer une crème solaire anti- UVA/UVB avec un indice de protection adapté à son phototype. Il est également essentiel de limiter le contact avec les polluants et d’utiliser des équipements de protection adaptés dans les environnements professionnels à risque. Mais encore, la prévention naturelle mérite d’être prise au sérieux. Intégrer à son alimentation des immunostimulants, antioxydants et anti-inflammatoires naturels, comme les champignons médicinaux et l’huile de poisson, semble jouer un rôle prometteur dans la réduction du risque de cancer de la peau. Toutefois, il reste essentiel de maintenir un bon équilibre entre oméga-3 et oméga-6 dans l’alimentation. Notre corps a besoin de ces deux familles d’acides gras essentiels, mais tout est une question de proportion. Un excès d’oméga-6 favorise l’inflammation, tandis que les oméga-3 ont un effet anti-inflammatoire. Or, dans l’alimentation moderne, ce ratio est souvent déséquilibré, parfois 20 pour 1 en faveur des oméga-6, alors qu’un bon équilibre serait plutôt autour de 4 pour 1, voire 2 pour 1. La solution ? Réduire les apports en oméga-6 (très présents dans les huiles de tournesol, fritures, biscuits industriels…) et augmenter ceux en oméga-3, que l’on retrouve dans l’huile de poisson, l’huile de colza, l’huile de lin, les poissons gras, les graines de lin ou de chia, et les noix. Un meilleur équilibre entre ces deux acides gras contribue à soutenir la santé globale, notamment dans la prévention des maladies inflammatoires chroniques et du cancer.

Dr Assia Kadi-Birem

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