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Le Docteur Fatiha Hamoutene, spécialiste en endocrinologie et diabétologie à L’Est   Républicain : « L’éducation thérapeutique, une expérience à méditer »

Rencontrée  en marge du 1er congrès national  d’éducation thérapeutique qui s’est déroulé les 13 et 14 juillet à Sétif, Dr Fatiha Hamoutene (épouse Mazouzi) spécialiste en endocrinologie et diabétologie,  et vice-présidente de l’association nationale d’éducation thérapeutique sanitaire qui a été invitée pour partager, avec des dizaines de spécialistes et généralistes  venus des quatre coins du pays, son expérience avec l’éducation thérapeutique des patients diabétiques,  a bien voulu répondre aux questions de l’Est Républicain.

L’Est Républicain : Comment avez-vous commencé votre projet d’éducation thérapeutique ?

Dr Fatiha Hamoutene : J’ai commencé mon activité au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Mustapha Bacha à Alger, dans les années 1990, au moment où l’Algérie était à feu et à sang. En 2000, après la décennie noire, mon mari a décidé de rentrer à Ain Defla, une région qui a souffert des affres du terrorisme. Cette situation s’est même répercutée sur la santé des habitants. Les patients n’allaient pas chez les médecins et du coup leur état de santé s’est dégradé. Dès mon arrivée à la ville natale de mon époux, j’ai ouvert un cabinet, le seul dans la région. Je couvrais diverses communes de plusieurs wilayas limitrophes.  Rapidement, j’ai constaté qu’il y avait un grand travail à faire en matière d’éducation thérapeutique sanitaire. La situation sécuritaire avait  beaucoup influé sur le suivi des malades, notamment les femmes. Comme je suis endocrinologue-diabétologue, j’avais remarqué que la situation était catastrophique notamment pour les enfants diabétiques qui étaient mal équilibrés. Les filles avaient un retard staturo-pondéral et pubertaire. Certaines d’entre elles étaient toutes édentées et souffraient d’infections génitales et cutanées.

L’Est Républicain : Cela était dû essentiellement à quoi ?

Dr  FH : L’absence de médecins et d’éducation thérapeutique.  Cela avait beaucoup impacté la prise en charge desdits malades, notamment les filles. Elles faisaient des hospitalisations pour acidocétose (une complication métabolique aiguë du diabète, caractérisée par une hyperglycémie, une hyper cétonémie et une acidose métabolique) et pour hypoglycémie. Elles avaient aussi des lipodystrophies (une des complications apparentes liées à la trithérapie) à cause des injections d’insuline mal faites et qui sont aussi l’une des conséquences de l’absence d’éducation thérapeutique). Leurs bras étaient gonflés et déformés et souffraient également d’insuffisance rénale et ne sortaient pas de l’hôpital. La détresse psychologique, les traumatismes et des pertes importantes en matière de vies humaines étaient le constat dans cette région. Cet état de fait m’a poussé à réfléchir au lancement d’un plan de formation d’éducation thérapeutique tous azimuts. Des efforts considérables doivent être consentis pour la reconstruction et la réhabilitation des services de santé, surtout en matière de prévention et de suivi, en améliorant davantage l’hygiène de vie de la population.

L’Est Républicain : Comment avez-vous entamé votre projet ?

Dr FH :    Débuter de zéro, n’est pas une mince affaire, cependant il fallait commencer vite et bien faire les choses afin de sauver ce qui peut être sauvé. J’ai entamé par regrouper autour de moi, plusieurs personnes intéressées par l’éducation thérapeutique de tout horizon. Je les ai formées dans ce domaine au sein de mon cabinet, duquel je ne sortais que vers 23 heures. Cela avait donné des résultats très encourageants. Au bout de sept ans, j’avais aussi réussi à les s’impliquer dans l’activité physique. Au début, on faisait la Une de toutes les discussions dans les fêtes de mariage, les hammams (bains maures), c’était un véritable tabou. Au bout de quelques années, les mentalités ont changé. Cela a aussi été possible grâce à la contribution de mes amies, les femmes des confrères qui avaient joué le jeu pour m’aider dans cette tâche et faire du sport. Au bout de dix ans, Ain Defla est devenue une ville où les femmes pratiquent le sport. Je peux dire que j’ai réussi à changer les mentalités en faisant une révolution en matière d’activité physique ».

L’Est Républicain :Comment avez-vous commencé les opérations d’éducation thérapeutique en regroupement des patients ?

   Dr  FH : Après sept ans, de formation des encadreurs bénévoles, j’avais contacté ma consœur docteur Oukaci qui était endocrinologue à l’hôpital d’Ain Defla, pour lui proposer d’entamer des opérations d’éducation thérapeutique. Elle qui bataillait avec les complications du diabète, a vite dit oui, vu qu’elle avait des difficultés avec la prise en charge des diabétiques non équilibrés. On avait rapidement formé une équipe pluridisciplinaire, où on faisait cinq à sept manifestations par an, en ciblant jusqu’à 700 patients par an. Notre initiative était aussi destinée aux médecins généralistes, aux étudiants et au grand public. Il y a eu une compagne la veille du mois sacré sous le slogan « diabète et ramadan », ainsi que celle du « Diabète au féminin ». Nous avons travaillé en groupe de médecins  de différentes spécialités. L’éducation thérapeutique avait très bien marché. Actuellement, je suis soulagée car on compte de plus en plus de médecins spécialistes en endocrinologie à Ain Defla, dans les communes et dans les wilayas limitrophes.

  L’Est Républicain :Est-ce que les formations et d’éducation thérapeutique ont donné les résultats escomptés ?

  Dr FH : Il n’y a aucun doute. Le constat est là ! au bout de quelques années, nous avons constaté une nette amélioration de la situation. Aujourd’hui, il y a moins de complications du pied diabétique, mois d’hospitalisations et moins d’amputations même durant la pandémie de Coronavirus ainsi qu’une amélioration significative du diabète gestationnel. Je peux dire qu’il y a moins de catastrophes sur le plan santé, durant le mois de ramadhan, avec une amélioration du niveau d’éducation sanitaire par les patients et leurs familles. Ces derniers sont de plus en plus impliqués dans leur santé. Nous estimons que notre expérience est à méditer et à généraliser dans d’autres régions du pays, où la couverture sanitaire spécialisée est en deçà des attentes et ce en dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires.  

 

Entretien réalisé par Faouzi Senoussaoui

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