« En ce jour de décembre 1960 à Alger, les masses algériennes vont faire irruption sur le devant de la scène, et faire l’histoire. Dans la capitale de l’Algérie encore française, ce sont les ouvriers et les étudiants, les sans droits et les chômeurs qui vont tenter de s’emparer du centre des grandes villes d’où ils sont exclus. Prendre possession des espaces citadins, c’est déjà accéder à une forme de modernité, vouloir peser sur les décisions politiques, utiliser les villes comme des caisses de résonance pour faire valoir sa cause et ses frustrations ». Ce passage est tiré d’une contribution écrite par Benjamin Stora. L’historien, qui copréside aujourd’hui une commission composée d’historiens algériens et français, chargée de préserver le contentieux historique entre les deux pays de toute exploitation politicienne, a estimé que les « grandes manifestations de décembre 1960 » ont été un signal indiquant que la révolution algérienne quittait les campagnes et s’installait dans les villes. Ce fut un « moment annonciateur de l’indépendance qui arrive », a-t-il mentionné. Les manifestations en question survenaient alors que De Gaulle entreprenait un voyage périlleux en Algérie. « Nous sommes tous pour le F.L.N., nous n’avons jamais voulu bouger, mais maintenant nous sommes lassés de ce qui se passe en Algérie. Nous ne sommes pas pour le général De Gaulle, car dans l’état actuel des choses, il n’y a que deux solutions : ou une Algérie fasciste ou une Algérie indépendante », clamait un des manifestants repris par l’historien. L’intervention des masses populaires citadines, que l’on croyait conditionnées, avait surpris aussi bien la puissance coloniale que les dirigeants de la lutte de libération nationale eux-mêmes. Ces journées de décembre 1960 ont constitué un épisode historique, qui a fait l’objet de tentatives d’occultation par certaines parties algériennes, qui voulaient maintenir les masses populaires en dehors de l’« équation » pour des raisons purement individuelles et égoïstes. L’historien Mohamed Teguia, membre influent du parti communiste algérien, mais aussi un militant de la cause nationale, a évoqué dans son livre « L’Algérie en guerre » les craintes manifestées par certains dirigeants de la révolution d’une implication en force des masses populaires. Selon lui, l’intervention en masse des Algériens dans les villes perturbait certains plans. En effet, l’intervention des populations citadines a été plus que décisive pour la suite des évènements. Les Algériens avaient enfin réussi à prendre leur sort en mains. L’Assemblée générale des Nations unies avait décidé de voter une résolution reconnaissant au peuple algérien son droit « à la libre détermination et à l’indépendance », et avait prévu d’en délibérer le 19 décembre. Du 9 au 11 décembre, les manifestations qui s’ébranlèrent à travers plusieurs quartiers d’Alger ne tardèrent pas à s’étendre à d’autres villes, comme Oran, Annaba, Constantine, Chlef et Blida, du moins les plus importantes. « Il n’y a pas un seul précurseur des événements du 11 décembre 1960, qui sont en réalité l’aboutissement d’une longue révolution. Après la bataille d’Alger et la victoire politique remportée par le F.L.N, malgré le démantèlement de ses réseaux, l’indépendance de l’Algérie était pratiquement une évidence aussi bien au sein de la population algérienne que pour une bonne partie des Français de la métropole », estime Belaïd Abane, historien et auteur de plusieurs ouvrages sur le mouvement national. En un mot, les manifestations du 11 décembre 1960 avaient contrarié tous les plans de la France coloniale visant à garder l’Algérie sous son emprise impérialiste. En quelques jours, les manifestations ont ébranlé l’empire colonial, démentant la propagande de l’occupant, selon laquelle la résistance des Algériens aurait été écrasée après la bataille d’Alger.
Mohamed Mebarki
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