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Pr. Jean Paul Couetil en exclusivité à L’Est Républicain : « Je suis prêt à former les chirurgiens cardiaques algériens »

Rencontré en marge d’une mission dans une clinique spécialisée dans le traitement et la chirurgie cardiaque à Sétif (clinique du cœur), le Pr Jean Paul Couetil, spécialiste en chirurgie cardiaque de notoriété mondiale, a bien voulu répondre aux questions de L’Est Républicain.Éminentchi rurgien, il est également l’inventeur de plusieurs dispositifs et techniques de chirurgie cardio-vasculaire, notammentde l’écarteur mammaire de Couetil, actuellement utilisé dans tous les services de chirurgie cardiaque du monde, ainsi que de la technique de partition pulmonaire, qui a sauvé la vie à des milliers d’enfants.Élève du Pr Alain Carpentier pendant dix-sept ans, il est également l’auteur de pas moins de 250 articles scientifiques, publiés dans différentes revues spécialisées.

L’Est Républicain : Quelles sont les spécificités du chirurgien Jean Paul Couetil et quelles sont ses inventions et ce qui le distingue de ses confrères chirurgiens?

Jean Paul Couetil : «En toute modestie, je suis un chirurgien cardiologue, avec une spécialité qui est la réparation valvulaire mitrale. J’ai été nommé professeur par mon maitre, Alain Carpentier, à un âge très jeune. Quelques années après, j’ai pris quelques années sabbatiques pour aller ouvrir un service de chirurgie cardiaque à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis) où je suis resté six ans. Je suis rentré en 2010 en France, pour reprendre la chefferie du service de l’hôpital Henri Mondor de Paris, où j’ai travaillé pendant dix ans. Quand j’ai quitté mon poste, j’ai été sollicité par des confrères dans plusieurs pays, dont l’Algérie. Je prends souvent en charge les patients que certains collègues algériens ne veulent pas se risquer à opérer. Il s’agit souvent de cas compliqués, ou des patients qui choisissent d’être opérés par moi. Je suis très ravi de travailler ici et de soigner des Algériens qui viennent de toutes les villes d’Algérie. Je ne vous cache rien si je vous dis que 50 % de mes patients me disent souvent qu’on leur a dit qu’ils n’étaient pas opérables. J’estime qu’ils ont l’immense avantage d’être opérés ici en Algérie (au niveau de la clinique du cœur et des autres cliniques, NDLR). Ces interventions peuvent leur couter entre 30.000et 50.000 euros en France par exemple.»

L’Est Républicain : Parlez-nous des interventions de la spécialité que vous maitrisez?

J.P.C : «J’ai été pionnier dans la transplantation cardiaque, pulmonaire, cardio-pulmonaire et dans la transplantation multiorganes cœurs-poumons et foie. En effet, j’en ai fait deux ou trois mondiales. Pour la transplantation cœur, poumons et foie chez le même patient, la première fois, c’était en 1990,sur un patient de dix ans atteint de mucoviscidose. Pour la transplantation cardio-pulmonaire, je l’ai assurée deux ans auparavant, exactement en 1988, à Cambridge. Cela fait déjà 35 ans. J’ai réussi aussi une deuxième mondiale quelques années plus tard. Il s’agit d’une transplantation d’un poumon sur un enfant. Il fallait un poumon de la taille du thorax de l’enfant,ce qui n’est pas toujours évident. Nous étions dans un dilemme extraordinaire. À ce moment-là, en 1993 à l’hôpital Broussais de Paris, j’ai décidé de prendre le poumon gauche d’un adulte décédé et je l’ai découpé. C’est ce qu’on appelle une partition pulmonaire, ou une greffe bipulmonaire. J’ai découpé le poumon d’un donneur cadavérique pour le transplanter par la suite sur un enfant. J’ai aussi réussi, Dieu merci, la première transplantation de lobe pulmonaire à partir d’un donneur vivant. C’étaiten 1996, à l’hôpital Georges Pompidou (Paris), nous avons pris un lobe de la mère et nous avons réussi la transplantation le même jour. Durant la même année, j’ai aussi assuré la première transplantation pulmonaire au Liban.

L’Est Républicain :Pouvez-vous nous expliquer comment un chirurgien cardiaque s’occupe de greffe de poumons?

J.P.C : À cette époque, les chirurgiens thoraciques, pourtant très compétents, avaient beaucoup d’échecs dans les transplantations pulmonaires. Ce n’est pas une question de performance, mais parce que les sutures bronchiques ne prenaient pas etdu coup se nécrosaient. Nous avions un véritable problème de cicatrisation. Cependant si nous faisions une transplantation cœur-poumon en même temps, les résultats étaient meilleurs. Ces interventions étaient donc, entre 1985 et 1993, assurées par les chirurgiens cardiaques. Les sutures tenaient bien, contrairement à la suture dans le poumon isolé. Comme j’avais une grande expertise de cela et ayant vu les résultats obtenus, en plus de la reconnaissance de mes confrères, je continue à le faire jusqu’à ce jour, notamment avec tous les pédiatres de France qui s’occupent de mucoviscidose. En somme j’ai réussi 250 transplantations de cœur, 150 greffes cœur-poumons et une trentaine de transplantations multiorganes. J’assure toutes les chirurgies cardiaques adultes et quelques grands congénitaux.

L’Est Républicain :Après dix ans à la tête du service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Henry Mondor à Paris, vous avez entamé une sorte de carrière de chirurgien itinérant, qui se déplace à travers les hôpitaux et les cliniques du monde, notamment dans les pays arabes. Qu’en est-il de ces missions et de votre expérience en Algérie?

J.P.C : Tout à fait! J’ai assuré des interventions ainsi que des opérations de formation à travers plusieurs pays arabes. En Algérie, j’ai opéré dans plusieurs cliniques privées à Annaba, Ghardaïa et Sétif. C’est une expérience très enrichissante, car j’estime que je suis en train de rendre de grands services aux patients atteints de certaines pathologies.Je pratique des pontages,des chirurgies valvulaires (valve aortique et valve mitrale), des répartitions valvulaires, des chirurgies de la valve tricuspide, ainsi que l’ablation des kystes hydatiques du cœur, les péricardites et les grands congénitaux. Je prends souvent les patients redux et tridux (patients cardiaques opérés pour la deuxième ou troisième fois, NDLR). En effet, dans toutes missions, j’ai un ou deux malades que je dois opérer pour la deuxième ou la troisième fois que les confrères algériens évitent d’opérer. J’ai beaucoup de patients complexes.

L’Est Républicain : Quel est le secret de la réussite votre mission, qui date d’au moins dix ans à Sétif?

J.P.C : Je suis venu à Sétif, à l’appel du patron de la clinique du cœur Dr RedhaMahdjoubi. On a commencé par constituer et former une équipe pour travailler ensemble. On a reconnu et établi les exigences de la chirurgie cardiaque au bloc opératoire, en réanimation et aussi dans le service de chirurgie cardiaque, pour le suivi. Je passe beaucoup de temps à expliquer les choses, car parfois il y a un turn-over du personnel et il faut qu’ils soient bien formés, car on ne badine pas avec la santé des patients. Ici (à la clinique du cœur de Sétif, ex-Les Pins,NDLR), nous avons un esprit de grande rigueur et de vraie équipe. Je fais mienne la citation : “Seul le chirurgien n’est rien, avec une équipe, il est bien”. Je viens chaque mois pour une semaine, dont une journée dédiée exclusivement aux consultations.

L’Est Républicain : Comment évaluez-vous les prestations des chirurgiens cardiaques algériens et êtes-vous prêts à les former dans certains créneaux qui ne sont pas encore maitrisés en Algérie?

J.P.C : Mes confrères algériens sont bien formés. Ils font les pontages, les remplacements valvulaires, la chirurgie de l’aorte ascendante ainsi que les urgences de la chirurgie cardiaque, à l’instar de la dissection de l’aorte dans les accidents graves. Ils pratiquent aussi très bien la chirurgie cardiaque pédiatrique.Cependant, il n’y a pas de transplantation. Le développement de la chirurgie du cœur doit continuer, car il y a beaucoup de demandes dans la transplantation et dans le traitement de l’insuffisance cardiaque, qui nécessite des assistances mécaniques. Mon souhait est de contribuer, à titre gracieux, à la formation des jeunes cardiologues algériens dans le public ou dans le privé. Ce que j’aimerais faire dans les prochaines années, c’est venir les aider à opérer pour leur permettre de développer et de mieux maitriser toutes les techniques que je connais et la manière dont je procède. Je peux les aider énormément dans les interventions de réparation mitrale et valvulaire. Je veux que mes prochaines activités soient des activités d’aide et de formation.Dans ce cas-là je pourrai aller jusqu’à 80 ans, voire plus (Jean Paul Couetil a 69 ans et bouclera ses 70 ans au mois de mai prochain, NDLR).

L’Est Républicain : Vous êtes passionné par votre travail, au point où vous avez été aussi le créateur de l’écarteur que vous utilisez dans vos interventions et qui porte désormais votre nom. Quel est ce dispositif et en quoi consiste-t-il?

J.P.C : J’ai inventé pas mal de dispositifs en chirurgie cardiaque, afin de me faciliter la tâche. Pour les écarteurs mammaires Couetil (portant le nom du Pr Jean Paul Couetil, NDLR), c’est un instrument qui sert à écarter, voire à disséquer les artères mammaires. Je l’ai créé en 1984, quand j’étais interne à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, puis je l’ai développé quelques années plus tard. Cela sert à faciliter les interventions de pontage. Il est actuellement utilisé dans tous les services de chirurgie cardiaque à travers les quatre coins du globe. Je pense que la chirurgie cardiaque doit être simple et facile à réaliser.Pour ce faire il faut bien comprendre les principes et de temps en temps, il faut innover en inventant et en mettant au pointdes instruments. J’ai aussi réussi une première mondiale qu’est la partition pulmonaire en coupant un poumon sur deuxet cela après deux ans d’expertise sur des chiens, à l’école vétérinaire de Paris, et en assurant la transplantation clinique sur des humains en 1993. Suite à cela j’ai obtenu le prix Henri Mondor de l’Académie des Sciences, ce dont je suis très fier.

Entretien réalisé par Faouzi Senoussaoui

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