Pour une surprise, c’est une énorme surprise. Prenant tout le monde à contrepied (classe politique, média, opinion publique), le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé avant-hier jeudi la tenue d’élections présidentielles anticipées, le samedi 7 septembre prochain, soit trois mois avant la date butoir, qui devait correspondre à la deuxième quinzaine du mois de décembre. La décision a été actée au cours d’une réunion consacrée justement à l’évaluation des préparatifs techniques, logistiques et politiques de cette échéance. Y étaient présents, outre le chef de l’État, les présidents des deux chambres du Parlement, le Premier ministre, le chef d’État-major, le président de la Cour constitutionnelle, le président de la Haute instance électorale, le directeur du cabinet présidentiel et le ministre de l’Intérieur. Autrement dit, presque tous les décideurs politiques du pays. Le communiqué du cabinet de la présidence de la République, et non pas la Direction de la communication, le préciser a son importance, a encore indiqué que le chef de l’État a pris un décret, en vertu duquel il a convoqué le corps électoral pour le samedi 8 juin 2024, soit 92 jours avant le rendez-vous avec les urnes, conformément à la loi électorale. Ceci pour le fait lui-même, qui est en soi un véritable coup de théâtre politique, car jusque-là on en était, en termes d’ambiance, aux prémices de la présidentielle, qui paraissait encore assez lointaine, même si elle a pris ces dernières semaines une certaine densité dans le débat politique, avec la déclaration de candidature de Zoubida Assoul, présidente de l’UPC, ou encore les déclarations politiques des partis comme le PT, le FFS, le RCD, le MSP, El Binaa, chacun abordant la question sous son propre angle. Autant l’annonce est « sidérante » en elle-même, autant elle suscite, dans les mêmes proportions, moult interrogations quant à ses ressorts profonds et ses non-dits. Ceux qui ont pris la parole pour exprimer leurs réactions sur les réseaux sociaux (des journalistes, quelques universitaires, des citoyens lambda) y sont allés de leurs supputations quant au fait lui-même et les scénarios possibles. Sur les images de la réunion (qui va probablement rentrer dans les annales), on a vu le président de la République échanger des sourires avec les autres présents, signe d’une ambiance plutôt bon enfant, qui ne trahit aune forme de gravité (de la situation politique du pays), pouvant justifier l’accélération du calendrier électoral. Certains commentateurs sur Facebook, se référant au précédent créé par le président Zeroual en 99, ont cru comprendre dans l’annonce du président, le signe d’une volonté de sa part d’écourter de quatre mois son mandat pour « des raisons de santé » et par souci de se retirer de la scène politique « pour s’occuper de sa famille. » « Je ne ferai qu’un seul mandat de transition pour passer le flambeau à la génération postindépendance », a rappelé un internaute, citant cet engagement du président Tebboune, alors candidat à la présidentielle de décembre 2019. Mais cette hypothèse du « retrait » pour raison de santé est battue en brèche par tout un faisceau de faits, à commencer par la forme du président de la République, qui parait être en pleine possession de ses moyens physiques et intellectuels. En témoignent ses multiples déplacements à l’étranger pour porter la voix de l’Algérie (la Russie, la Chine, la Turquie, l’Égypte et les pays du Golfe). De plus, depuis quelques mois, les média publics, sans doute instruits, enchaînent reportages et débats en plateau télévisés pour mettre en avant le bilan de Tebboune et ses multiples réalisations politiques, économiques, sociales et diplomatiques, pour asseoir une « Algérie nouvelle » avec l’ambition affichée de se hisser au statut de puissance régionale. Ces bilans qui ont meublé pendant des semaines « la grille » des télévisions publiques, mais aussi de la presse écrite et électronique, sont entendus par les spécialistes comme autant d’arguments en prélude à l’annonce d’un deuxième mandat, alors que le président lui-même s’est scrupuleusement gardé, ne serait-ce que d’évoquer le sujet. « Li fiha khir idjibha Rabi », avait-il rétorqué, à une voix qui s’élevait dans la salle, lors de la réunion des deux chambres du Parlement, lui demandant de briguer un second mandat. Le président du Conseil de la Nation, fervent partisan de la « continuité », avait déclaré dans une rencontre avec des journalistes que le « président Tebboune a le droit de briguer un deuxième mandat ». Ce qui est un simple rappel de la loi, mais dans la bouche du numéro deux, le propos a une autre résonance. Une sorte d’amicale pression sur le président, pour annoncer la couleur. Pas de problème de santé, un bilan politique et économique, plutôt satisfaisant et des soutiens tous azimuts. Bref, toutes les planètes semblent ainsi alignées pour que le président Tebboune enchaîne avec un second mandat « les doigts dans le nez », pour reprendre une expression triviale. Pourquoi alors l’avancement du calendrier électoral ? Telle est la question. Il est vrai que les sinueuses voies du pouvoir sont impénétrables.
H. Khellifi
Premières réactions : Paroles de leaders de partis
Les élections présidentielles auront lieu trois mois avant les délais constitutionnels, initialement fixés pour le mois de décembre prochain. L’annonce a été faite, avant-hier jeudi, en fin de journée, par un communiqué de la présidence de la République. « Il a été décidé la tenue d’une élection présidentielle anticipée, dont la date est fixée au samedi 7 septembre 2024. Le corps électoral sera convoqué le 8 juin 2024 », indique en effet le communiqué de la présidence, sans donner plus de détails. Car, si la constitution donne en effet le droit au président de la République de convoquer des élections présidentielles anticipées sans raison préalable, des partis politiques et autres personnalités se sont interrogés sur les raisons qui ont poussé le chef de l’État à prendre une telle décision. C’est le cas de l’Alliance Nationale Républicaine (ANR), qui a indiqué dans un communiqué, rendu public hier, que l’importance d’une telle annonce exigeait des explications et même un discours à la nation. La formation politique a également émis le souhait de voir le chef de l’État « consulter » la classe politique, avant de prendre une telle décision. Maintenant que le cap est fixé, des formations politiques commencent à faire connaître leurs intentions. C’est le cas du Front de Libération National (FLN), qui s’est félicité de cette décision, en assurant qu’il était prêt pour l’échéance. Une position similaire a été annoncée par le Rassemblement National Démocratique (RND), qui soutient lui aussi le chef de l’État dans sa démarche. De son côté, le Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), dont le président, Abdelali Hassani-Chérif a été reçu il y a quelques semaines par le chef de l’État, a dit avoir « bien accueilli » cette annonce, tout en affichant sa volonté de participer au processus électoral. Selon différentes sources, la décision d’organiser des élections présidentielles anticipées n’est pas forcément justifiée par « une crise » politique. Mais cela découle de la volonté du chef de l’État d’éloigner le calendrier électoral de la fin de l’année. À cela s’ajoute le souci d’effectuer sa visite en France avec une confiance renouvelée. Surtout que la date annoncée pour cette visite pouvait susciter des polémiques, puisqu’elle devait se dérouler en pleine campagne électorale. Selon des sources concordantes, le chef de l’État ne compte pas arrêter le processus électoral à la présidentielle. Après la révision du Code électoral, il va provoquer des élections législatives et locales pour l’année prochaine. Le souci dans ce cas étant de donner la possibilité à certains partis de l’opposition, comme le Front des Forces Socialistes (FFS) et le Parti des Travailleurs (PT), de réintégrer le Parlement, après leur boycott de l’élection de 2021. Or, au sein du Parlement actuel, seul le MSP représente l’opposition, dans une chambre qui ne compte plus que les soutiens du gouvernement. Avant ces élections, les autorités vont réviser le Code électoral, déjà revu en 2021 et il en sera de même pour la loi sur les partis politiques.
Akli Ouali
Partager :