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Nouvelle Directrice Générale de l’Institut Français d’Algérie : Cécile Renault : “Il est hors de question de proposer un bac au rabais”

À l’occasion de sa visite de travail à Annaba, Cécile Renault, la nouvelle Directrice Générale de l’Institut Français d’Algérie, a accordé un entretien à L’Est Républicain. C’est la première fois qu’elle s’exprime face à un média algérien, et ce, depuis sa récente nomination à la tête de l’institution.

C’est dans l’ambiance feutrée du lobby d’un hôtel d’Annaba que Cécile Renault nous a accordé, en exclusivité, cette première entrevue. En toute humilité et simplicité, elle a accepté de répondre à toutes nos questions.

LEst Républicain : est-ce votre première rencontre avec un quotidien régional francophone en Algérie ?

Cécile Renault : je suis arrivée il y a très peu de temps et je n’ai pas encore rencontré la presse. Je commence donc par L’Est Républicain. C’est bien ma première interview en Algérie !

Pourquoi lAlgérie ?

J’ai découvert le pays en visitant le Tassili il y a quelques années, et plus récemment, j’ai travaillé pour le président Emmanuel Macron dans la cadre de la mise en œuvre des préconisations du rapport de Benjamin Stora à l’occasion de la commémoration du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Cela m’a permis de comprendre une grande partie de l’histoire du pays. Dans les préconisations de ce rapport il n’y avait pas seulement les aspects historiques : il y avait aussi un volet artistique. J’ai donc rencontré des artistes binationaux ou algériens installés en France. Notre objectif était de nous adresser aux jeunes qui vivent en France afin qu’ils comprennent mieux cette histoire dont l’importance est liée aussi au nombre de Français d’origine algérienne ou dAlgériens vivant en France. Il y a énormément de coopérations, de ponts, de liens possibles. Quand on m’a proposé de candidater pour l’Algérie, je n’ai pas hésité une seconde même si j’adorais Taipei ! Je me suis dit que c’était enfin l’occasion de voir l’autre rive avec ses artistes installés en Algérie, les gens et les lieux dont j’ai entendu parler.

Ce n’était donc pas un choix ?

J’étais à Taipei où j’aurais pu rester encore deux ans de plus. J’y avais d’ailleurs un programme pour quatre ans… Quand on m’a proposé de candidater pour ce poste, je n’ai pas hésité et me suis dit que c’était une occasion qu’on ne loupe pas !

Quel rôle avez-vous joué dans le dossier mémoriel ?

J’ai accompagné le président Macron dans ses prises de parole lors de diverses commémorations ou encore lors de la reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel. Nous avons installé une plaque devant un camp où ont été enfermés des militants pour l’indépendance de l’Algérie en France. Aussi, il y a eu la plaque à Amboise en la mémoire de l’Emir Abdelkader. En sus, il fallait que les enfants et les jeunes dans les écoles puissent connaître cette histoire encore peu enseignée. Nous avons mis en place un concours qui permet chaque année aux élèves français de réfléchir à un sujet lié à cette histoire. Les meilleurs projets reçoivent des prix au Sénat. Cela permet aussi aux enseignants d’aller plus loin que les quelques heures du programme scolaire sur ce sujet important. Nous avons aussi mis en place, sur le plan artistique, des bourses permettant, chaque année, à cinq artistes algériens de partir en résidence en France et rencontrer leurs pairs du monde entier. Et enfin, sur le plan de la recherche académique, nous avons mis en place la bourse André Mandouze et qui se poursuit elle aussi à ce jour.

Quest-ce que cela vous fait d’être en Algérie ?

Même si j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, je suis en pleine découverte. Je n’avais pas la perception de l’ambiance, de l’énergie. Je découvre tout !

Votre homologue étasunienne était à Annaba mercredi dernier dans le cadre de la généralisation de l’anglais à l’université. Le français est-il en danger en Algérie ?

Je ne prends pas cela comme un danger pour le français. Au contraire, je comprends la volonté du gouvernement algérien de développer l’anglais. Aujourd’hui, il est indispensable pour les jeunes de pratiquer l’anglais. Je souscris pleinement à cette nécessité, et je pense surtout que ce qui est très intéressant, c’est le plurilinguisme. Pourquoi se limiter à une langue quand le système éducatif peut en proposer plusieurs ? Si je me mets à la place d’un jeune algérien, je pense que j’aurais aimé apprendre aussi bien le français que l’anglais. Pourquoi devoir choisir ?

Qu’en est-il de Campus France et des bourses d’études ?

Concernant Campus France, nous mettons et allons davantage mettre l’accent sur l’information des étudiants pour les accompagner, les aider et les orienter afin qu’aboutissent leurs projets académiques. L’objectif est de maximiser les chances de chacun pour aller en France et y suivre une formation de qualité, et plus tard, revenir créer une entreprise et contribuer au développement de l’Algérie. Ce qui me semble aujourd’hui important, c’est d’éviter à des jeunes qui espèrent d’être déçus. Nous essayons chaque année de proposer une nouvelle offre pour une meilleure information, comme des « live chats » sur Facebook, des conférences métiers, des entretiens d’aide à l’orientation ou encore des ateliers CV et lettres de motivation pour les accompagner dans la valorisation de leurs profils auprès des écoles et universités auxquelles ils aspirent. Ce que je souhaite, c’est continuer à être transparents, clairs et disponibles pour répondre à des questions et aider les jeunes à élaborer le bon projet d’études, postuler au bon moment et dans les bonnes universités afin de maximiser leurs chances de réussite.   

De plus en plus d’Algériens, hautement qualifiés, optent pour le Canada en passant par l’Institut Français pour les examens du TCF. N’avez-vous pas l’impression de servir de marchepied pour le développement de ce pays ?

Les Instituts français dans le monde sont dédiés à la francophonie. Je dirais que, comme pour le plurilinguisme, nous ne sommes pas en compétition. Un jeune algérien qui apprend le français se rend en France pour étudier, puis rentre en Algérie pour y créer un projet, puis qui part au Canada vivre quelques années et revient en Algérie avec d’autres projets au profit du développement économique du pays ; c’est très bien ! A la fin, l’Institut français aura participé à cette ouverture d’esprit et réussite.

Notre rédaction a reçu des parents d’élèves du Lycée International Alexandre Dumas (LIAD) qui ont exprimé leur inquiétude quant à l’avenir de leurs enfants au sein du système éducatif français. Pensez-vous qu’il y aura, à moyen terme, des classes du secondaire dans les antennes d’Oran et Annaba, évitant ainsi l’internat ? Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer ?

Nous serions ravis de pouvoir ouvrir tous les niveaux dans les antennes du Lycée International Alexandre Dumas. C’est un objectif pour nous. Après, il y a des contraintes de réalité. On sait que le bac français aujourd’hui a beaucoup d’options très importantes. Il est hors de question de proposer un bac au rabais en Algérie : c’est à dire que les jeunes au LIAD doivent pouvoir bénéficier des vrais choix au même titre que n’importe quel élève en France. Je me suis réunie tout récemment avec le nouveau proviseur du LIAD qui m’a expliqué que l’internat qui a été créé à cet effet au LIAD à Alger est d’un très haut niveau. Il a soulevé un point que je trouve intéressant et qui serait le mot clé pour rassurer les parents : « l’autonomie ». J’invite donc les parents à se rendre à Alger, visiter l’internat mais aussi discuter avec des pensionnaires et leurs parents à propos de cette offre, très qualitative et qui apporte un grand plus à leurs enfants. Bien évidemment, nous allons faire notre maximum pour faire monter les classes.

Le gouvernement français actuel est plutôt marqué à droite avec une ambition d’économies. Pensez-vous que l’Institut Français d’Algérie sera impacté ?

Pour l’instant, il ne sert à rien de s’inquiéter. On sait l’importance et l’ampleur du réseau avec cinq instituts très actifs et des milliers d’usagers en Algérie. La diplomatie française accorde une grande importance à l’Algérie. Je ne suis pas vraiment inquiète et nous nous donnerons les moyens de maintenir une activité culturelle riche et variée dans nos cinq antennes.

Vous qui avez été à la tête et à l’origine du mythique et unique 104 à Paris, quel sera votre première priorité en matière d’action culturelle ? 

Ce que j’aimerais vraiment, c’est faire travailler des Français et des Algériens à travers des programmes de résidences. Mettre en place des projets où les gens peuvent se rencontrer et partager leurs expériences. C’est d’ailleurs le rôle des résidences, notamment à Annaba dans un nouveau lieu unique en son genre au sein du réseau pour l’instant. Autre particularité d’Annaba et qui est un grand plus en ce sens, c’est le studio d’enregistrement qui peut permettre à des musiciens en résidence de travailler de bout en bout et localement. Ceci, bien évidemment, en plus des artistes que nous continuerons à inviter dans le cadre de notre programmation culturelle et qui viendront se produire dans nos instituts et hors de nos murs. 

Vous avez été en poste pendant deux ans à Taipei, qu’est-ce qui va le plus vous manquer ?

Trois choses vont certainement me manquer : les moshis, ces boules de riz farcies au sésame, les bubble-tea et le thé tout court car je ne bois pas de café. Mais j’ai déjà appris qu’il y avait de nombreuses spécialités au sésame en Algérie, sans compter le mythique thé à la menthe du Sahara.

Vous êtes en Algérie depuis quelques semaines : avez-vous déjà expérimenté des spécialités locales ? Avez-vous déjà goûté à la fameuse pâte à tartiner El Mordjene ?

J’ai découvert à Tlemcen la poudre de caroube qu’on boit à la place du café et c’est excellent, d’autant que, comme je le disais, je ne bois pas de café. Et c’est bien meilleur que la chicorée ! On m’a dit qu’on en trouvait aussi en quantité à Annaba où il y a carrément un quartier qui porte le nom de ce fruit que je trouve génial. Avant d’arriver en Algérie, je ne savais même pas que cela existait. Concernant la pâte à tartiner El Mordjene, que je ne connaissais pas du tout avant ce premier entretien avec la presse algérienne, jai hâte de lessayer, dautant que j’adore tout ce qui est à base de noisettes. Je me réjouis !

Une ville que vous aimeriez visiter en particulier ?

Prochaine destination professionnelle : Constantine. Là où j’aimerais aller pour faire du tourisme, c’est à Tipaza. C’est une ville qui m’attire et me semble très intéressante.

En arrivant à Annaba, quels lieux teniez-vous absolument à voir ?

Toute la ville, bien évidemment, de sa Casbah jusqu’à son phare. Mais le lieu que j’ai hâte de voir est Séraïdi et son fameux hôtel signé Pouillon qui surplombe la grande plage. Il paraît que les paysages sont à couper le souffle !

Par Y.-G.

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