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Wahid Benbelkacem, doyen des architectes à Sétif : « Mes archives sont entre de bonnes mains »

Après cinq décennies de bons et loyaux services, le doyen des architectes sétifiens range ses crayons et planches. Avant de tourner la page, Wahid Benbelkacem confie ses archives professionnelles, un trésor précieux, à l’institut d’architecture de l’université de Sétif. Devant faire des émules, le geste de l’ancien élève de l’Ecole Nationale d’Architecture et des Beaux (ENABA) est une première. En signe de reconnaissance, l’institution l’honore. Le vibrant hommage est organisé au sein de l’institut où il a aimablement accepté d’échanger avec L’Est Républicain.

Qui est le doyen des architectes sétifiens ?

Je suis né le 1 janvier 1942 à Sétif. Nous habitions à l’époque rue du Sahara. Ce jour-là, les routes étaient bloquées par plus de deux mètres de neige. Bloqué dans son lieu de travail, mon père n’a pu rentrer à la maison. J’ai commencé mes études en 1963. Je suis issu de la première promotion de l’ENABA d’Alger. J’ai effectué mon stage pratique (1968-1969) à l’ « ECOTEC », un grand bureau d’études rattaché à l’époque à la présidence de la République. Le défunt président Houari Boumediene nous rendait de temps à autre visite. Il venait généralement à des heures tardives de la nuit. Il s’intéressait énormément aux différents projets du bureau d’études. En 1969, j’obtiens une bourse à l’étranger pour y préparer un troisième cycle soit aux Etats-Unis ou en URSS, précisément à Saint Petersburg. Pour diverses raisons, j’ai dû y renoncer.

Comment êtes-vous venu à l’architecture ?

Au début, j’ai voulu devenir pilote. Mon dossier n’a pas été accepté en Algérie. J’ai par la suite tenté ma chance au Maroc où je devais passer un concours et m’inscrire dans une grande école. Finalement, la main rouge de la France coloniale qui avait des entrées partout a pesé de tout son poids pour m’expulser. De retour à Alger où mon père était gendarme au Rocher noir, je me suis inscrit à l’école polytechnique où on m’a demandé de refaire la première année. Devant mon refus, ma sœur pour laquelle j’étais un dessinateur doué m’oriente vers l’ENABA.

Quel a été votre premier projet d’architecte ? 

Il m’est impossible d’oublier mon projet de thèse. Je peux oublier mon repas de la veille mais pas l’hôpital de Kais (Batna). Vous savez, l’architecture est un art. L’intelligence et l’imagination occupent des places importantes dans la conception de tout projet particulier. Je devais réaliser un hôpital sans ascenseurs. L’Algérie qui sortait d’une très longue nuit coloniale était à l’époque confrontée à l’épineux problème de l’électrification rurale. Réaliser un hôpital sans ascenseurs pour manque ou insuffisance d’énergie rendait mon projet particulier. Réalisé sous le contrôle de mon maitre de stage Farias, titulaire de la chaine d’urbanisme de São Paulo (Brésil), très proche du célèbre Oscar Nemeyer, mon projet ne s’est malheureusement pas concrétisé.

Quelles est votre œuvre préférée ? 

L’exercice est difficile et compliqué à la fois. J’ai fait les études et le suivi d’un nombre incalculable de logements, d’établissements scolaires, d’instituts et centres de formation professionnelle, d’établissements scolaires, de structures sportives et d’autres équipements publics ici et là. J’ai travaillé dans plusieurs wilayas comme Constantine, Béjaïa, Bouira, Bordj Bou Arreridj, M’sila et Sétif, évidemment. J’aime bien le siège de la BEA (Banque Extérieure d’Algérie) de la nouvelle-ville Ali Mendjeli (Constantine). Ce n’est d’ailleurs pas l’unique structure bancaire réalisée. Avant de ranger les crayons, j’ai réalisé en même temps deux instituts de formation professionnelle, un à M’Chedellah et un autre à Ain Bessem (Bouira).

Quel est le plus important fait saillant de votre carrière ?

La préparation du plan spécial de Sétif en 1969 restera à jamais gravée dans ma mémoire. En ma qualité d’architecte de la ville (1969-1973) de Sétif où j’ai pris part à nombre de programmes de développement, j’ai été le coordinateur du plan lancé par le défunt Président Boumediene. Je me suis par ailleurs donné à fond dans le plan sanitaire de lutte contre la maladie n°8(le choléra). Ça n’a pas été facile, croyez-moi.

Vos projets portent les empreintes de vos maitres, non ?

Effectivement. Les années passées à l’ENABA, une école extraordinaire où j’ai côtoyé des sommités de l’architecture et des beaux-arts, ont marqué ma longue et riche carrière. J’ai été influencé par les grandes icones comme Leon Claro (directeur de l’ENABA), Georgette Cottin Euziol (architecte franco-algérienne), Jean de Moisonseul, Ahmed Yssiakem, Chokri Mesli et Denis Martinez qu’on ne présente plus.

Quelles archives avez-vous confiées à l’université de Sétif ?

La bibliothèque de l’institut d’architecteur de l’Université Ferhat Abbes de Sétif (UFAS) est l’endroit indiqué pour accueillir une documentation riche et variée. Estimé à plus de 37 mètres cubes, le fond est constitué de calques, planches, correspondances, livres, revues, CD, documents administratifs, procès-verbaux de chantiers et d’autres œuvres d’architectes. Il sera, j’en suis convaincu, un excellent de travail et de recherches pour la communauté universitaire.

Comment avez-vous pu vous séparer de ses archives ?

Ce fond documentaire est le travail de toute une vie. Cette opération honore la direction, les enseignants et les étudiants de l’institut qui sauv ent une infime partie des archives contemporaines de la ville. La cérémonie d’aujourd’hui est l’aboutissement d’un processus lancé par les équipes de Mme Assia Samai Bouadjadja il y a deux ans. Je profite de l’opportunité pour remercier la communauté de l’institut, particulièrement ma collègue Mme Samai. Cet ultime projet est une forme de transmission et de préservation de notre mémoire collective. Ce n’est pas facile de tourner aussi facilement la page car chaque projet réalisé raconte une histoire. Je suis soulagé car mes archives sont désormais entre de bonnes mains. Je peux désormais partir tranquille, avec en sus le sentiment du devoir accompli.

Quelle a été votre crédo durant votre carrière ?

On travaillait dur… il fallait honorer nos martyrs.

Kamel Beniaiche   

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